Annoncer son cancer à ses proches
Depuis que j'ai appris l'existence de mon cancer, j'avance pas après pas. Après avoir digéré le choc moi-même, j'ai passé une première étape, non des moindres : l'annoncer à mes proches.
Pas la partie la plus facile... Enfin, peut-être que si, en fait^^! L'avenir me le dira - mais c'était déjà une étape très éprouvante.
Je l'ai d'ailleurs partagée en plusieurs phases, pour mieux réussir à l'assimiler : car annoncer son cancer à ses proches, c'est aussi apprendre à l'accepter soi-même.
La toute première phase, je l'ai vécue (presque) seule : une phase exploratoire, suite à la découverte de cette masse dans mon sein, où j'ai enchaîné les rendez-vous médicaux visant à déterminer ce qu'il en était, avant qu'on ne me fasse une annonce "officielle".
Avant d'établir un diagnostic, il faut procéder à diverses vérifications, de plus en plus précises selon ce qu'on trouve.
Dans mon cas, une simple palpation par un professionnel de santé ; puis, pour approfondir, une image radio de l'intérieur du sein. Il s'agit en général d'une échographie des seins, en premier lieu, puis si l'image doit être précisée, d'une mammographie.
Ensuite, seule une ou plusieurs biopsies (= une ponction de matière directement réalisée dans la masse suspecte, puis ensuite analysée en laboratoire) pourra réellement déterminer la nature précise de la lésion. En parallèle, selon la situation, on peut aussi réaliser un IRM localisé, qui donnera une image encore plus précise, et même un TEP scan, sur l'ensemble du corps.
J'ai coché toutes les cases, plusieurs fois pour certaines, les unes après les autres... Ça fait déjà un paquet de RV médicaux (heureusement indolores pour la plupart, mais impressionnants) alors que je ne fais que commencer mon parcours...
L'accumulation de ces vérifications m'avait mis la puce à l'oreille, avant qu'on ne me confirme définitivement que mes lésions étaient pathologiques.
L'annonce m'a été faite à mots couverts, avec distance mais délicatesse ; je l'ai faite confirmer avec mes propres mots, pour éviter tout malentendu.
J'avais beau me douter, ça fait toujours un choc : même quand on connaît le risque, on pense toujours inconsciemment pouvoir passer à côté...
Le mot "cancer" fait d'emblée terriblement peur, et avant d'avoir plus de détails, on pense souvent en premier lieu au pire, puis à ses proches. Au moment de l'annonce, il me fallait encore quelques examens exploratoires pour savoir où j'en étais précisément ; et je viens seulement, d'en avoir les résultats (NB : rassurants ;o)).
Vous imaginez bien comme il est difficile, dans ces conditions, de sentir le stress monter petit à petit, pendant des semaines, sans avoir encore de réponses claires à ses questions... On entre dans un tunnel d'incertitude, où l'on a d'autre choix que de prendre son mal en patience, d'autant que le corps médical préfère éluder et ne pas se prononcer avant d'avoir des éléments sûrs et déterminants.
J'ai eu la chance pour ma part que mes RV s'enchaînent assez vite, me permettant d'avoir le sentiment de rester dans l'action ; mais c'est assez frustrant.
Cet enchaînement a tout de même permis que l'idée monte progressivement en moi, m'aidant à mieux l'intégrer, le moment venu...
Pendant toute cette période de suivi exploratoire, j'ai directement prévenu et impliqué mon conjoint ; ainsi, il a été informé presque en même temps que moi, en direct même, avec moi, pour certains rendez-vous importants.
Il sera en première ligne pour les conséquences de ma maladie, ce qui le rend à mes yeux presque aussi concerné que moi - son soutien me sera précieux, mais je sais qu'en tant qu'aidant, la période sera aussi très difficile pour lui.
Ainsi mes sentiments sont assez contradictoires à son endroit... Entre la peine de lui "infliger" ça, à mon corps défendant, et le soulagement de le sentir à mes côtés et là pour moi.
Mais au delà de lui, je voulais aussi prévenir rapidement mes proches de ce que je découvrais, et de ce qui m'attendait...
Par transparence ; et parce qu'être bien entourée pendant cette épreuve sera sans nul doute une vraie force au quotidien.
Mais les prévenir, même si je n'y suis pour rien, c'est aussi les rendre tristes pour moi : et c'est dur à encaisser... Alors accumuler les annonces, les unes après les autres, est on ne peut plus éprouvant - surtout quand on est encore soi-même sous le coup de l'émotion et dans le doute le plus complet.
J'ai voulu informer mes proches de vive voix, leur expliquer avec mes propres mots et ressentis ; c'était sans doute parfois maladroit... Mais il n'y a de toute façon pas de bonne façon d'annoncer un cancer, ni de bon moment ou de bons mots pour ça (tout comme, de l'autre côté, de bonne façon de nous répondre). On peut juste essayer d'éviter la pire... et d'être le plus sincère possible.
Être factuel, mais rassurant ; accepter de se montrer faible, mais en même temps, battant ; avouer qu'on ne sait pas, mais se raccrocher tout de même au peu que l'on sait. Un vrai tourbillon d'émotions contradictoires.
J'ai prévenu d'abord ma famille, puis ma belle-famille ; ensuite, mes amis les plus proches.
En face à face pour certains, par téléphone, plus souvent, autant par éloignement physique que par besoin de maintenir un minimum de distance émotionnelle : car je n'ai pas pu, les premiers temps, réaliser ces annonces sans pleurer, tant j'étais encore sous le choc et pleine d'incertitudes moi-même.
Une fois, deux fois, trois fois... Cette répétition est très dure (j'ai d'ailleurs fini par "grouper" certaines annonces par des messages vocaux, ou par "déléguer" certaines annonces à des intermédiaires), d'autant que je ne pouvais pas parler à n'importe quel moment (n'ayant alors pas encore prévenu mes filles, qui étaient souvent avec moi).
Mais, cette répétition m'a aussi permis de me détacher petit à petit du poids des mots...
Et de me nourrir des pensées rassurantes de mes proches, de sentir leur présence, leur amour, leur confiance - tout en rendant petit à petit plus concrète, et visible, ma situation.
Petit pas par petit pas, ça m'a permis d'avancer dans mon acceptation de la maladie. Et une fois ces annonces faites, je me suis sentie soulagée d'un premier poids : je pouvais désormais vivre les choses librement, et plus en secret comme jusqu'à présent.
Dans cet intervalle, j'ai aussi choisi d'informer presque en direct mes employeurs, même si rien ne m'y obligeait.
Pour qu'ils comprennent pourquoi j'accumulais les absences sur mon temps de travail, alors que j'aurais pu, travaillant à mi-temps, les programmer autrement ; pour qu'ils puissent anticiper, si besoin, l'organisation de mon poste ; et surtout, pour maintenir la relation de confiance sur laquelle s'est basée dès le départ notre collaboration.
Ils se sont montrés très compréhensifs et bienveillants : un autre soulagement pour moi, de ne pas me sentir jugée ou sous pression, dans ma vie professionnelle - mais au contraire, soutenue et encouragée, tant ils sont prêts à m'aider.
Restait maintenant l'annonce qui m'était la plus difficile... Celle que j'ai dû faire à mes filles.
Pour celle-là, j'ai attendu un peu plus longtemps. D'être un peu mieux fixée, moi-même, sur la situation (et heureusement un peu rassurée par mes premiers résultats), d'avoir plus d'éléments tangibles et factuels sur lesquels reposer mes explications, et aussi d'avoir un peu plus de recul pour éviter de me faire (trop) déborder par l'émotion et de trop dramatiser.
Mais je ne voulais pas que mon cancer soit un tabou : passés les quelques moments de flottement où j'ai préféré rester discrète, tant que je ne savais pas moi-même où j'allais, il me semblait indispensable de les tenir informées et impliquées.
Elles aussi seront en première ligne... Et voir leur maman malade ne sera pas facile, et peut bien sûr les impacter profondément, surtout que les traitements vont être visibles tant mon moral que sur mon physique. Si elles n'ont pas l'information qu'il faut, elles ne pourront que s'inquiéter : à nous de les renseigner, et de les rassurer.
J'ai cherché des ressources sur la façon d'aborder le cancer avec les enfants ; et ce que j'ai lu a vite conforté ce que j'avais prévu.
Nous avons attendu un moment "propice", calme et serein, en veillant à ce qu'elles aient du temps pour absorber la nouvelle.
Puis nous avons parlé de la maladie simplement, en expliquant que j'avais découvert une masse en moi, qui s'avérait être une lésion cancéreuse, formée par le développement de cellules "abîmées" par la maladie.
Une maladie grave, mais ni douloureuse ni contagieuse, qu'on appelle cancer et qui, dans mon cas, avait été découverte assez tôt pour qu'on puisse bien me soigner et que j'en guérisse. Avec des traitements adaptés, qui seraient certainement longs et difficiles, et qui allaient me fatiguer.
Une explication factuelle, mais rassurante, progressive, assez précise pour qu'elles comprennent, mais sans trop de détails, dont elles n'ont pas encore besoin à ce stade.
La charge émotionnelle était très forte pour moi : je projetais dans ce moment mes propres connaissances, peines et angoisses, qu'elles n'avaient, elles, heureusement pas...
Je n'ai pas pu retenir quelques larmes ; mais ça ne m'a pas gênée : c'est important aussi qu'elles sachent qu'on a le droit, elles comme moi, d'être tristes ou d'avoir peur, et de le montrer. L'essentiel était surtout de clarifier qu'on pouvait en parler ensemble (ou avec d'autres personnes), et qu'on allait s'épauler, et traverser ensemble cette période difficile, mais temporaire.
Les enfants restant des enfants... ça a duré 2mn, puis elles sont reparties jouer, comme si de rien n'était^^! Un peu perturbant pour moi, compte tenu des enjeux ; mais tout à fait normal, en fait.
Déjà, parce qu'elles ont sans doute intériorisé face à moi ; et puis, surtout, car elles n'ont pas le même référentiel que nous, adultes, et que ce n'est pas encore réellement concret pour elles pour le moment.
Ça viendra, plus tard - quand elles réaliseront et qu'elles verront les réels effets de la maladie. Alors nous resterons vigilants, à l'affût des signes, pour nous assurer qu'elles arrivent à gérer, et pour les accompagner dans leurs émotions.
Au moins maintenant elles savent que la porte est ouverte, chez nous ou avec d'autres personnes, pour en parler si elles en ressentent le besoin.
Il me reste maintenant quelques annonces à faire, pas les plus impactantes, mais pas plus évidentes pour autant.
Les annonces du quotidien, celles à faire à toutes ces connaissances que je croise ça et là: les collègues, les parents d'élèves, les voisins.
La charge émotionnelle est beaucoup moins grande pour ces annonces là... Mais pas facile d'annoncer une nouvelle de cette ampleur, vite fait au moment où la cloche sonne, devant le portail de l'école, dans la queue à la boulangerie, ou devant la lunch-box du moment de détente, à midi!
"Oh, salut, ça va toi? - ben pas super, j'ai un cancer!"... Forcément, ça plombe l'ambiance ; on ne balance pas ça en 2mn, mais on n'a pas forcément envie pour autant d'entrer dans le détail précis de ce qu'on vit, ni non plus d'éluder la question.
Et puis la déferlante de mots gentils que l'on reçoit réchauffe le coeur, mais finit par être elle aussi un peu pesante... Les débordements de sympathie, les offres d'aide, les conseils et les témoignages affluent d'un coup, à une fréquence inhabituelle, et prennent le dessus sur toute autre forme d'échange. D'un coup, on n'est plus tout à fait nous : mais déjà, le malade en nous.
Ces contacts du quotidien seront d'ailleurs aux premières loges, et même s'ils nous sont moins proches, ils verront en direct l'impact sur nos corps, la fatigue qui s'inscrit sur nos traits, l'inquiétude qui nous ronge, nos problématiques logistiques. Ça peut sans doute être difficile à assumer, alors qu'on cherche justement à garder sa normalité... Je verrai.
Même si annoncer mon cancer autour de moi était éprouvant, et difficile, je me sens mieux depuis que c'est fait.
Ça me donne la force de me lancer désormais à fond dans ma bataille - avec le sentiment d'une petite armée autour de moi.