Déconfi[t]ement
On l'a tant attendu, ce fameux déconfinement... Et maintenant qu'il est derrière nous, il nous laisse un drôle d'arrière goût.
J'avoue que notre petite balade au vert la semaine dernière, puis notre belle escapade du pont de l'ascension m'ont fait énormément de bien - parce que j'en menais moins large, la semaine dernière, après quelques jours "déconfinés".
Comme beaucoup, j'avais inconsciemment placé beaucoup d'espoirs dans ce fameux jour de délivrance, comme une carotte qui m'aidait à avancer et à tenir bon. Au fur et à mesure que le confinement s'allongeait, je me tenais à l'idée qu'on avançait vers le retour à nos petites vies...
La veille du jour J, j'étais réaliste, mais confiante.
Non, le déconfinement ne signifierait finalement pas le retour à la normale qu'on avait imaginé au départ ; mais quand même, ça irait... Peut-être un peu à contre courant, je n'avais pas peur de la suite : il était temps d'affronter de nouveau le monde, fût-ce différemment.
C'était étrange, le dernier soir ; on sentait qu'une page historique se tournait, mais sans l'explosion de joie qu'on espérait un peu. Voilà, juste comme ça, c'était enfin fini?
...Non, pas vraiment, en fait. On n'a fait qu'élargir un peu notre champ d'action, cette fois sans attestation. Avant de réduire toutes les distances, et de se rapprocher de notre vie d'avant, il y aura encore tant à attendre...
La liberté retrouvée qu'on a tant espérée, on l'a vue se dérober devant nous. Alors rapidement, une certaine désillusion s'est installée.
Une semaine à peine après avoir été déconfinés, certaines des choses que l'on a vécues me semblaient déjà bien loin ; et d'autres me semblaient vouées à n'en plus jamais finir.
Brutalement, les applaudissements se sont tus ; dans les rayons, la farine est revenue ; et dans les rues, les masques sont finalement apparus (même si ça semble être parfois plus pour faire semblant que pour être réellement utile...).
Prudemment, on a recommencé à remettre le nez dehors, pas très loin. Avec délectation, les premières fois - mais aussi avec une sorte de malaise latent. Petit à petit, c'est sûr, la vie reprend son cours ; même si c'est autrement, et tout doucement.
Mais il reste encore bien trop d'interrogations pour qu'on le sente complètement.
Quand pourra-t-on revoir nos proches, pour la plupart au delà de nos 100km d'action? Le retour à l'école sera-t-il seulement réellement possible, en vrai, quoi qu'on ait décidé? Qu'en est-il de tous nos projets en suspens, doit-on annuler, ou y croire encore, jusqu'au dernier moment? Peut-on ou non commencer à revoir des gens? Quels risques encourt-on vraiment?...
Cela fait plus de deux mois qu'on tient à bout de bras, avec cette date fatidique en fond, cet ligne d'arrivée à atteindre ; et puis d'un coup - plus rien.
Plus aucune visibilité, plus de prochaine étape... Quelle serait-elle, d'ailleurs? La fin des 100km? Les vacances? La rentrée? L'après? L'éradication totale du virus et le retour à la "normale"?...
Tant d'incertitude et de flou sont usants, à la longue. Difficile de faire descendre la pression, et de se projeter...
On maintient l'énergie tant qu'on peut - mais sans carburant, c'est difficile de faire le plein.
Alors rapidement, plus que déconfinée, je me suis sentie déconfite. Et un peu accablée par la durée réelle de tout cela...
Car il ne s'agira pas vraiment de 2 mois, mais plutôt d'au moins 6, en fait. Après ce premier confinement, nous entrons en fait dans un deuxième, certes assoupli, mais toujours contraignant, et presque plus angoissant. Et puis derrière encore, il y aura l'été.
6 mois au moins collés serrés, en permanence avec les enfants.
C'est à la fois une bénédiction et une charge énorme, qui au fond cristallise, pour moi, la principale difficulté de cette période. Plus que le manque d'espace ou de ressources, c'est le manque d'espace personnel le plus difficile à vivre.
Même si je sais que c'est un luxe, et que chez nous, on n'est pas à plaindre...
Le confinement m'a fait encore plus réaliser combien on est chanceux : il y a eu des hauts, des bas, mais ces 2 mois nous ont quand même épargnés. Non, nous, on a pas été "en guerre" - à part contre nous-mêmes, et j'en ai conscience, c'est un sacré privilège. D'autant qu'il semble que ce combat là, on l'ait plutôt gagné.
Malgré tout, ça ne m'a pas empêché d'avoir, comme tout le monde, de nombreux coups de moins bien...
Mais j'ose à peine m'en plaindre, même si je sais que mes ressentis sont légitimes.
Parce que je ne "bosse pas". Je peux profiter de mes enfants, et je ne me retrouve pas dans une merde noire, comme tant d'autres, qui doivent maintenir leur activité ou s'organiser en urgence.
Oui... mais. Ça ne m'empêche pas d'avoir voix au chapitre... Quand j'ai choisi de prendre un congé parental, je ne pensais pas être assignée à résidence, et devenir à la fois nourrice, maîtresse, restauratrice, agent d'entretien, et coach de vie, sans préavis et à plein temps, et sans possibilité de rupture de contrat, juste après mon post partum - dont j'ai heureusement eu la chance qu'il se passe bien.
C'était pas vraiment ça, le plan...
Le plan, c'était justement de profiter de cette période pour commencer à en bâtir un! Pour penser à la suite, envisager ma reconversion, et mettre en place les fondations de ma vie d'après. Le plan, c'était de m'octroyer une parenthèse - seulement maintenant, je ne sais plus quand je pourrai la refermer.
Car au milieu de tout ça, je ne trouve plus ni le temps ni la force de chercher ce futur métier qui pourrait être le mien, de trouver une formation adéquate pour m'y amener (sans parler de la faire valider par pôle emploi...), et de trouver une organisation qui me permettrait de mettre tout ça en place en septembre, comme initialement prévu.
Aujourd'hui, je n'ai plus tellement de plan... A part celui d'être encore un temps, infiniment, 100%, maman.
C'est mon plus beau rôle, c'est sûr - mais il est aussi écrasant, surtout en ce moment...
Alors que j'imaginais profiter de cette période pour commencer à me reconnecter avec ma vie à moi, je me retrouve finalement bloquée dans mon rôle maternel, à durée indéterminée.
Pas d'autre choix que de mettre les bouchées doubles pour maintenir l'énergie de tout le monde, de puiser en moi des trésors de patience pour canaliser les tensions et affronter la fatigue, et de nourrir toute la famille tant sur le plan alimentaire que culturel.
Et si pour l'instant, ça me va (quelque part, c'est aussi rassurant de retarder encore un peu le grand saut dans l'inconnu d'une nouvelle vie professionnelle...), j'espère qu'à la longue ça ne finira pas par trop me peser.
Car pour prendre soin des miens, il faut aussi que je sache prendre soin de moi... Et dans ces conditions, j'ai peur de ne plus en trouver le temps.
Bien sûr que j'arrive quand même à trouver quelques moments pour moi - sinon je vous avoue que je ne tiendrai pas^^!
Mais jusqu'à nouvel ordre, je dois oublier le silence, l'ordre, et le calme si précieux pour me ressourcer. Je dois faire une croix sur les moments "soupapes", sans enfants dans les pattes. Et me passer des petites sorties "plaisir", repas, shopping entre copines, un peu futiles mais pourtant si utiles.
En attendant... La routine prend le dessus, inlassablement. Je n'ai rien contre, en temps normal ; mais c'est sûr qu'en manque d'évasions, ne serait-ce qu'ordinaires, on finit par trouver le temps long.
On s'en est accommodés le temps du confinement, bon an mal an...
Mais plus ça dure... et plus c'est dur.
Papa Picou télétravaille la plupart du temps, au moins jusqu'à Septembre, et nous avons la chance de l'avoir près de nous, à disposition... Mais même à la maison, il a des horaires conséquents, besoin de concentration et de calme, et ça crée parfois un climat pesant.
Comète est adorable, mais elle dort peu, et me demande une attention de tous les instants, que je ne peux pas toujours lui donner. Au fur et à mesure qu'elle s'éveille, ce n'est pas près de s'arranger... et ça va forcément influer sur notre relation qui se construit. Mes nuits sont courtes, entrecoupées, et la fatigue s'installe peu à peu.
Chouquette et Bouclette s'entendent toujours très bien, mais leur proximité perpétuelle fait parfois des étincelles ; et leur faire la classe à des niveaux si différents n'est pas une tâche aisée.
Sur un court terme, ça m'allait...
...mais avec les semaines, la motivation s'étiole, de leur part comme de la mienne, et j'ai malgré tout peur qu'elles y perdent au passage (surtout Bouclette, pour laquelle la continuité pédagogique proposée par l'école est très limitée). Et je sens que les deux auraient besoin de ne plus vivre en circuit fermé.
Là où je comptais un peu sur un retour à l'école, pour redonner une dynamique efficace à toute notre famille, les dates sans cesse repoussées, et sans doute finalement annulées, m'ont vite fait déchanter. (NB - Chouquette reprendra finalement l'école en CE1 sur 2 jours par semaine après la 1ère semaine de juin ; quant à Bouclette, en MS, je n'ai toujours aucune nouvelle! Je ne crois plus qu'elle reprenne).
Il semble maintenant évident que le déconfinement n'était finalement pas la ligne d'arrivée... et qu'il faudra tenir bien plus longtemps.
Alors, forcément, ça décourage. Parce que j'aime profondément mes filles, comme ma vie de maman... Mais 24h/24h, si longtemps, c'est trop - et comme beaucoup, je sature.
Malgré tout, pour être totalement honnête, je sais aussi qu'une partie de ces ressentis serait, dans mon cas, la même hors confinement... Car elle est surtout liée au fait d'avoir maintenant 3 enfants, dont un bébé, avec l'activité incessante que cela représente.
Si la situation n'était pas celle que nous vivons aujourd'hui, j'aurais quand même cette impression d'être en permanence sollicitée, d'avoir toujours quelque chose à anticiper ou à organiser, et d'avoir sans arrêt les bras occupés. La seule différence, c'est que je pourrais le faire dans le calme, avoir plus souvent des relais, et plus d'occasions pour décompresser vraiment et m'occuper de moi-même.
Même si mes journées sont plus que bien remplies, même si j'en ai souvent ras-le-bol, même si je suis frustrée de ne pas réussir à faire tout ce que j'aimerais faire...
C'est la vie que j'ai choisie, en connaissance de cause.
Avec l'expérience de 2 enfants, je savais parfaitement que je passerais par des moments comme ceux là, où j'ai un peu l'impression de me perdre. Et c'est un risque que j'étais prête à prendre, car je sais que c'est temporaire, et combien le bénéfice est bien plus grand que la perte.
Je n'avais juste pas imaginé que je ressentirais ça si tôt, et dans une forme si amplifiée par la crise que nous vivons aujourd'hui... Alors, même si ce n'est pas tous les jours facile et que j'aurais besoin de souffler plus souvent, quand la tempête finit par se calmer, au fond, je sais que pour moi, tout va bien - et je ne le vis pas si mal que ça.
Il faut juste que j'arrive à voir la situation sous un plus grand angle, à garder du recul, et à me focaliser là dessus plus que sur tous ces petits "trop pleins" qui jalonnent la route.
Ce n'est qu'un contretemps - certes encore plus long que prévu - mais la "vraie vie" finira bien par revenir... et tout ira bien. Vivement...