Lecture - 'Les corps inutiles' de Delphine Bertholon
Ce n'est pas si souvent, avec mon rythme de maman, que j'arrive à lire, que dis-je, à dévorer un livre en moins de 2 jours!
Pourtant, ça a été le cas il y a quelques semaines, lorsque j'ai découvert Delphine Bertholon via son roman "Les corps inutiles".
Attirée vers cet auteur suite aux critiques positives que j'avais vues sur un autre de ses ouvrages, le plus connu "Coeur naufrage", je ne l'ai pas trouvé à la bibliothèque; mais je me suis laissée tentée par cet autre roman.
Et je l'ai adoré, comme vous l'aurez deviné! Si j'ai lu aussi rapidement ce livre, c'est que j'ai été séduite en tout points par le style, l'histoire, l'humour, l'originalité.
Ce n'était pourtant pas évident, car sur le papier, le résumé n'est pas des plus gais!
Le récit s'ouvre sur l'agression sexuelle que subit la jeune Clémence, 15 ans, à l'orée de sa vie sexuelle ; elle réchappe de peu au pire, réussissant de justesse à échapper à son assaillant, mais en reste marquée au fer blanc.
Au cœur du roman, le poids de sa culpabilité, alors qu'elle décide de garder tout ça pour elle - pourquoi en parler, comme au fond, ce n'était "rien", puisqu'elle n'a pas été violée?
De peur d'être mal jugée, elle garde sa souffrance en elle, et la somatise en devenant littéralement insensible. Un handicap invisible, mais si profondément ancré en elle qu'il influe sur toute sa vie.
On la retrouve à 30 ans, devenue une femme atypique, sauvage et solitaire, maquilleuse dans une société de poupées pour adultes.
Au fil des pages, Delphine Bertholon dresse un portrait vivant, délicat et profond d'une femme aux blessures invisibles, en pleine reconstruction.
Le récit alterne les passages centrés sur Clémence ado, essayant de gérer tant bien que mal le choc, et ceux sur sa vie actuelle d'adulte, empêtrée dans les mécanismes de défense qu'elle a inconsciemment mis en place petit à petit.
Un procédé narratif parfait pour retranscrire les répercussions silencieuses d'un traumatisme psychologique, et le poids immense qu'il peut prendre sur la trajectoire d'une vie.
L'humour et le style parfait de l'auteur, à la fois vif et percutant, et chargé en "punch lines" (on sent d'ailleurs beaucoup de références qui parleront aux trentenaires), aide à rendre captivante son histoire et son retour à la vie.
C'est une histoire pleine de suspense, dont on tourne les pages avec frénésie, comme au rythme de battements du cœur sous adrénaline.
On ne s'ennuie pas une seconde, tant le récit est rythmé et accrocheur. La partie finale en est d'ailleurs un peu construite comme un polar, dont on veut découvrir l'issue au plus vite.
Malgré un sujet à priori plombant, on n'entre jamais dans le pathos, ni même dans la lourdeur ou la tristesse - au contraire, le récit est vraiment solaire.
On suit avec plaisir l'avancée de l'héroïne, on sourit de l'originalité et du cynisme de sa vie, on se félicite de ses progrès pour reprendre le cours d'une certaine normalité.
Le personnage de Clémence est très riche, et tout en contrastes.
L'auteur joue sur les paradoxes qu'elle représente : entre le feu de sa chevelure rousse et de son attitude, et la glace de ce qu'elle ressent ; entre son insensibilité de surface et la colère, la rage et la hargne qu'elle abrite au fond d'elle.
Tiraillée entre deux, elle peine à savoir qui elle est, et qui elle serait en fait sans ce qui lui est arrivé. Elle ne ressent plus rien, mais transmet une foule d'émotions au lecteur, dans un très beau portrait de femme, empreint de complexité et de justesse.
Les personnages secondaires sont aussi très bien dessinés, originaux et apportent tous un petit quelque chose à l'intrigue, permettant de placer l'héroïne entre normalité (sa famille) et marginalité (ses collègues, ses voisins, le policier).
Comme le nom du roman l'indique, c'est aussi une réflexion captivante sur la relation au corps, pas si inutile que ça au final...
Un corps enveloppe, indissociable de l'esprit, qui peut devenir une véritable cage pour les sentiments. Un corps aussi froid et sans vie que celui des poupées qu'elle maquille, piégeant pourtant en son sein les ressentis les plus violents.
Le salut de Clémence passera par sa réappropriation du sien, sali à la fois par son agresseur et par sa propre culpabilité.
Les corps inutiles est un roman très fort, aussi éprouvant que captivant, qui nous accroche et nous retourne vraiment.
{NB - J'ai également lu avec plaisir, du même auteur, Twist et Coeur Naufrage}
{Si le livre vous tente, vous pouvez vous le procurer ici}