Lecture/Série : 'La servante écarlate'
Petit billet culturel aujourd'hui, pour parler à la fois lecture et série télé, grâce à "La servante écarlate", de Margaret Atwood.
Datant de 1985, cet ouvrage, puisqu'il s'agit à la base d'un roman, a fait beaucoup parler de lui par son adaptation en série télé, et par son effrayante résonance dans la société actuelle, où les droits des femmes sont de plus en plus mis à mal (hello, Mister Donald T.!).
J'ai donc découvert successivement le livre, puis son adaptation sous forme de série télé ; de quoi vous proposer une chronique "double", nourrie de ces deux approches sensiblement différentes que j'ai eu avec cette histoire.
Laissez moi vous parler d'abord de mon ressenti sur le livre, "The handmaid's tale", dans sa version originale.
Ce roman de science fiction décrit, dans un futur plus ou moins proche, une société totalitaire dans laquelle la religion a pris le pouvoir sur tous les aspects de la vie.
Une dégradation sans précédent de l'environnement a drastiquement augmenté l'infertilité, au point que les rares femmes encore capables de porter un enfant sain à terme prennent une importance capitale...
Cette société puritaine a réorganisé le rôle des femmes en les divisant en 3 classes : les Epouses, femmes des Notables, et seules à détenir encore un semblant de pouvoir (uniquement chez elles toutefois) ; les Marthas, cantonnées à l'entretien de la maison et à la cuisine ; et enfin, les plus "précieuses", les Servantes écarlates, du nom de leur costume rouge, qui sont uniquement vouées à la reproduction.
Le récit suit les réflexions de l'une de ces "Servantes écarlates", forcées à porter les enfants des notables, à la place de leurs épouses stériles.
Defred, puisque c'est le nom qui lui a été attribué, n'a pour rôle que de porter un enfant - elle doit oublier sa propre identité, sa liberté, son passé. La seule chose que l'on attend d'elle, c'est qu'elle réussisse à procréer pour les Notables. Surveillée étroitement par les "Yeux", le moindre de ses débordements sera dénoncé et durement sanctionné.
Seulement, Defred a connu le monde d'avant...et ne peut se résigner à oublier sa fille, son compagnon, son amie, ou même ses sensations et souvenirs d'un monde tel que le nôtre.
Alors que sa marge de manoeuvre est extrêmement réduite, et qu'elle risque à tout moment la mort ou l'exil aux "colonies" pour trier des déchets toxiques, elle découvre peu à peu qu'il y existe peut-être une forme de résistance...
L'histoire, et la description de cette société terrifiante où les femmes sont privées du moindre libre-arbitre, sont extrêmement fortes.
L'organisation de cette société dystopique, dont les codes sont décrits dans le moindre détail, fait froid dans le dos. Les libertés retirées aux femmes, quelles qu'elles soient ; le puritanisme poussé à l'extrême ; le déni d'identité ; les glaçantes "cérémonies" de reproduction ou de "rédemption" ; le totalitarisme, la répression. Et plus encore, la rapidité avec laquelle la situation semble avoir dégénéré, sans que personne n'ait trouvé à se rebeller en temps utiles.
Je me suis laissée emporter par l'histoire, par la description minutieuse, mais la narration un peu lente m'a pourtant empêchée d'y adhérer complètement. C'est certainement un effet voulu par l'auteur, pour souligner l'aspect contemplatif de l'héroïne, dont on suit les réflexions intérieures, et renforcer un certain malaise et un sentiment d'oppression.
L'héroïne, justement, m'a semblée un peu fade, froide et pas très attachante (ce qui était certainement aussi voulu, pour la rendre "banale" et favoriser l'identification). Elle se laisse au final beaucoup porter, et semble manquer cruellement de force de caractère pour intégrer pleinement la résistance, dans laquelle est en fait intégrée malgré elle.
Par ailleurs, certaines de ses introspections m'ont semblé traîner en longueur, et même ça et là tomber dans des excès de style trop alambiqués.
De manière générale, j'ai trouvé le récit trop descriptif, et j'ai ressenti un manque d'action.
Malgré la puissance des situations choquantes, dérangeantes, qui sont racontées, le récit parfois trop distancié, a pour moi manqué d'affect et d'intensité, et je suis malheureusement restée un peu trop extérieure à l'histoire.
Bien que la vision de cette société soit déjà clairement édifiante, l'action aurait à mon sens gagnée à être poussée beaucoup plus loin (notamment sur la description de la résistance, qui reste au final assez restreinte).
Compte tenu de l'épilogue de l'histoire, que je ne révélerai pas, je pense qu'il s'agit justement d'un parti pris ; mais si j'en comprend l'intérêt stylistique, je n'y ai pas accroché.
Au final, j'ai beaucoup aimé l'histoire, qui aborde de vraies problématiques et pousse à la réflexion, mais je suis restée sur ma faim.
J'espérais alors que la série, auréolée de critiques et d'un bouche à oreilles élogieux, sache rectifier ces différents points qui m'ont empêchée de pleinement apprécier le roman.
Autant lever le doute tout de suite - c'est exactement ce qui c'est passé! Je suis bluffée du travail réalisé sur la série, qui réussit à surpasser l'histoire originale.
L'héroïne, magnifiquement interprétée par Elisabeth Moss, est bien plus attachante que celle du roman - plus combative, plus sensible, plus complexe. Son engagement fait sens, et semble beaucoup plus réaliste que dans le roman.
Le travail superbe sur la photo, les couleurs et les lumières met parfaitement en valeur le système de classes, et la dureté de la société décrite, dans une atmosphère à la fois esthétique et oppressante.
La série gagne en profondeur, et comble les lacunes du récit initial. Si elle garde la lenteur propre au roman, l'intrigue est plus rythmée, et enrichie.
Les modifications et les ajouts sont cohérents, et apportent une plus-value au récit, pour renforcer certaines pistes à peine suggérées dans le livre, ou en ouvrir de nouvelles.
J'ai quand même moins été emballée par les derniers épisodes de la saison, qui retombent dans les travers du livre (notamment une résistance assez peu détaillée, dans le but sans doute de développer ce thème dans une 2ème saison).
J'ai d'ailleurs également quelques doutes sur d'éventuelles saisons supplémentaires, car le récit aurait gagné à rester concentré en une saison unique, bien qu'il me semble qu'une suite soit déjà prévue à la première saison déjà diffusée.
Au final, je ne peux quand même que vous conseiller de vous plonger dans la série, ou pour les plus courageux, également dans le roman.
Ne serait-ce que pour frissonner de l'aspect visionnaire que pourrait avoir cette oeuvre pour notre monde actuel...
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