Lecture - 'La maison des égarées' de Julie Kibler
Je voudrais aujourd'hui vous transmettre mon coup de coeur pour l'une de mes dernières lectures, "La maison des égarées", un roman choral touchant autour de la condition féminine.
Julie Kliber y mêle les voix de 3 femmes, qu'un siècle sépare, mais que rapprochent leur mise au ban de la société dans laquelle elles ont grandi, à cause des carcans qu'on leur a imposés.
Au début du XXème siècle, Lizzie, jeune femme démunie et rejetée par sa famille, rejoint avec sa fille Docie le Foyer de femmes de Berachah, au Texas. Un refuge chrétien - qui a réellement existé - fondé et dirigé par un Pasteur, pour accueillir les femmes que la société juge "perdues", afin de les guider vers une rédemption par la prière et le travail.
Les conditions y sont très strictes, pour des femmes jusqu'ici malmenées par la vie et en rupture avec la société (filles-mères, épouses répudiées, prostituées, droguées...) ; mais elles y trouvent un accompagnement bienveillant, et l'opportunité de se sentir enfin intégrées à une communauté, au sein de laquelle pouvoir espérer se reconstruire.
Ensemble, elles remettent peu à peu leurs vies sur des rails, s'affranchissent d'une part de jugement, et font preuve de solidarité et d'entraide.
Ainsi, Lizzie se lie d'amitié avec une autre pensionnaire, Mattie, arrivée après elle au foyer presque mourante, son fils dans les bras.
Au fil des années, les deux femmes se découvrent et s'épaulent l'une l'autre. Lizzie est aussi calme et mesurée que Mattie imprévisible et insolente - très différentes, elles se complètent, et créent peu à peu un indéfectible lien de confiance qui les poussera à surpasser leur condition et à trouver chacune leur propre manière de revenir au monde.
Un siècle plus tard, il ne reste malheureusement presque rien du havre de paix que fût Berachah pour des milliers de femmes... Seul son cimetière, perdu au coeur de ce qui est devenu un parc, témoigne de leur passage en ces lieux.
Mais c'est assez pour éveiller la curiosité de Cate, bibliothécaire entre deux âges, qui intriguée, entreprend de fouiller avec passion les archives de ces lieux, et de découvrir l'histoire de ses hôtes.
Elle exhume ainsi les destins de Lizzie et Mattie, et des personnes qui les entourent, et s'attache à ces femmes bousculées, y trouvant de lointaines résonances avec son propre chemin de vie, lui aussi contrarié. Saura-t-elle à son tour s'ouvrir la voie d'une seconde chance?
Les chapitres alternent entre les histoires de Lizzie, Mattie et Cate, levant peu à peu le voile sur ce qui leur est arrivé dans le passé et sur le sens que prendra leurs vies.
Mais au-delà de ce récit prenant, le roman explore surtout en filigrane les ressorts sociétaux qui ont poussé ces femmes à la marge de la société dans laquelle elles ont grandi.
Leurs histoires sont différentes, tout comme leurs façons de réagir ; mais elles partagent la même impuissance face à un monde patriarcal, la même injustice face à un destin qu'elles ne peuvent complètement maîtriser, et surtout, la même force intérieure pour tenter de se relever quand même, coûte que coûte.
Au delà de leurs trajectoires respectives, que l'on s'attache à découvrir avec plaisir (je me suis même laissée surprendre par le twist concernant l'une des héroïnes, que je n'avais pas du tout vu venir!), l'auteur évoque plus largement les difficultés de la condition féminine, avec beaucoup de subtilité.
Elle intègre ainsi à son récit une réflexion fine et mesurée sur les facteurs qui l'influencent, comme le poids de la religion (particulièrement fort dans le récit), l'influence de la famille, les règles rigides des normes sociales et l'impact écrasant des rapports amoureux.
Autant d'éléments abordés sans jugement, et qui aident à comprendre la marque indélébile laissée sur ses femmes par leur passé, dont elles ne pourront en fait jamais se défaire, malgré toute leur bonne volonté.
Malgré le léger déséquilibre que j'ai ressenti entre les 2 périodes abordées (l'histoire "moderne" mettant plus de temps à se mettre en place que celle du foyer, et m'ayant semblé par moments plus superficielle, notamment autour du personnage de Laurel) je me suis laissée porter tout du long par le style agréable, bien que classique, de Julie Kibler.
Outre son intérêt romanesque et historique, j'ai trouvé dans ce roman beaucoup de tendresse, de bienveillance, et de sororité - et par les temps qui courent, ça ne se refuse pas!
*{EN TOUTE TRANSPARENCE - J'ai eu l'occasion de lire ce roman dans le cadre de mon inscription au site NetGalley qui met en relation éditeurs et lecteurs influents ; je remercie les éditions Belfond d'avoir accepté ma sollicitation de lecture pour la version numérique de ce titre!}