Lecture - "Les oiselles sauvages" de Pauline Gonthier
A quelques jours de la symbolique date du 8 mars, j'ai aujourd'hui envie de vous parler de féminisme, au travers de mon dernier coup de coeur littéraire, "Les oiselles sauvages".
Ce très joli premier roman de Pauline Gonthier, édité par Vanessa Springora (dont l'ouvrage "Le consentement" a provoqué une prise et conscience et fait beaucoup parler de lui il y a quelques mois), retrace 50 ans de féminisme, sous les visages de deux femmes portées à se tourner malgré elles vers la lutte.
La première, Madeleine, découvre les balbutiements du Mouvement de libération de la femme, au début des années 70 : embarquée par l'enthousiasme d'une militante de la première heure qu'elle rencontre en marge de ses études, elle embrasse la cause avec ferveur, d'abord pour l'égalité des sexes puis pour la dépénalisation de l'avortement.
Un renoncement au parcours bourgeois classique qui l'attendait, pour une émancipation qui lui demandera adaptations, renoncements et doutes, sans qu'elle ne réussisse jamais à se libérer totalement du carcan de son éducation.
50 ans plus tard, on suit le chemin de Mathilde, dont la vie bien rangée vole en éclats lorsqu'elle rencontre Alix, lesbienne assumée, et en tombe amoureuse. Elle découvre un monde nouveau, où les puissants élans du désir et de la liberté sont vite freinés par les limites que la société impose à l'homosexualité.
Lorsque Alix décide de devenir mère, Mathilde doit s'interroger sur ses désirs profonds, prendre le risque de s'engager, et entrer par amour dans le combat pour la PMA pour toutes.
Deux trajectoires féministes, depuis les fondations d'une lutte encore marginale jusqu'aux batailles modernes pour l'inclusivité, où l'intime se mêle au politique.
Les situations en miroir des deux héroïnes - l'une se bat pour ne pas forcément être mère, l'autre pour le devenir - se rejoignent dans le besoin d'une juste reconnaissance de leurs droits.
Elles témoignent de la longue marche des femmes vers le simple respect de leurs droits à disposer de leur corps et de leurs vies, et d'un mouvement qui aujourd'hui encore, se poursuit.
L'histoire de Madeleine rend un bel hommage aux premières militantes du MLF, en retraçant l'engagement fervent, les grands courants de pensée, l'action flamboyante et les coups d'éclat joyeux, comme les débats internes, et les dissensions et divergences de vue.
Celle de Mathilde montre que si le militantisme engagé des débuts s'est assagi, alors même que la cause prenait peu à peu de l'ampleur, il prend aujourd'hui de nouvelles formes, pour ne pas oublier que malgré d'indéniables progrès, le combat n'est toujours pas gagné.
Et que derrière chaque nouvelle marche gravie, il y a sans cesse de nouveaux défis à relever, pour que personne ne soit oublié et que chacun se sente concerné.
Sur un fond très documenté, l'auteure reprend pas à pas les étapes de l'expansion du féminisme, sans que cette mise en contexte ne soit pesante ou trop académique.
Sa plume sensible et fluide, ainsi que la construction efficace du récit, alternant époques et personnages et à chaque chapitre, emportent facilement le lecteur dans l'histoire.
Les héroïnes principales, profondes et nuancées, sont attachantes jusque dans leurs failles, et l'on est touchés de découvrir au fil de leurs destins les liens qui les unissent.
On retrouve entre les lignes l'ambiance d'une époque, ses pesanteurs comme son élan, et une belle galerie de personnages secondaires, bien brossés, qui apporte une ouverture bienvenue sur une foule de thématiques périphériques d'importance (homosexualité féminine, liberté sexuelle, militantisme, poids de la société patriarcale, place des hommes dans le féminisme...).
Au delà des trajectoires individuelles fortes des 2 héroïnes, dont les questionnements personnels avancent en même temps que les progrès de l'Histoire, c'est un survol efficace de l'histoire du féminisme, qui permet de voir les visages de la lutte derrière les combats.
De quoi nous rappeler que les grandes avancées sont toujours avant tout portées par l'écho de la vie des femmes elles-mêmes, qu'elles soient militantes ou préfèrent rester en arrière plan.
Ce seront toujours elles le meilleur porte-voix d'un vécu universel, qui reste pourtant malheureusement aujourd'hui encore trop peu écouté.