Lecture - 'Marie et Marya" de Jillian Cantor

Publié le par Picou

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Quels seraient nos vies, si nous avions fait des choix différents de ceux qui ont été les nôtres?
 
Une question que l'on s'est tous posés, un jour, et dont l'ampleur des conséquences semble vertigineuse.
 
Des grandes décisions, aux petits choix du quotidien, tout ou presque peut avoir un impact décisif sur notre destin : pile, ou face - la fameuse théorie du "battement d'ailes du papillon", aussi intriguante qu'inspirante.
 
C'est cette théorie que Jillian Cantor a choisi d'explorer dans son dernier roman, "Marie et Marya", publié aux éditions Préludes, en la transposant sur la vie de l'illustre Marie Curie. Rien que ça! Une femme au destin extraordinaire, aussi prestigieux que tourmenté, et que l'on croirait presque écrit d'avance, tant il est empreint d'une incroyable détermination.
 
Mais qu'en est-il réellement? Sa vie aurait-t-elle été si différente, si elle avait choisi l'amour avant la science, plutôt que le contraire? Aurait-t-elle fini par connaître les mêmes succès, aurait-elle été aussi heureuse si elle était restée dans sa Pologne natale, et n'avait pas pu autant briller par ses avancées scientifiques?
 
C'est justement ce qu'imagine Jillian Cantor dans cette œuvre double, mi-biographique, mi-fictionnelle.
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Elle y relate deux histoires parallèles, deux "demi-vies" comme le soulignent avec malice le titre original (bien meilleur que sa traduction française...) et jolie la couverture du livre.
 
D'un côté, on suit la véritable Marie Curie, une femme de tête, avide de savoirs et véritable symbole de modernité et de réussite scientifique. Partie étudier à Paris, elle y obtient ses diplômes avec brio, rencontre Pierre Curie, indéfectible partenaire et amour de sa vie, puis mène avec lui des recherches révolutionnaires en physique-chimie, qui aboutiront à la découverte du radium et du polonium.
 
Si ces avancées lui apportent 2 prix Nobel, elle n'a que faire de la gloire, qu'elle trouve bien encombrante... Et préfère se concentrer sur les applications concrètes de ses découvertes, quitte à en subir les conséquences néfastes sur sa vie de famille et sa santé.
 
De l'autre côté, l'auteur déroule une autre version, celle de Marya, de son nom polonais, celle qu'elle aurait pu être, en suivant un autre chemin. Restée en Pologne pour y épouser son premier amour, et vivre une vie plus conventionnelle à ses côtés, Marya crée une université de femmes clandestine, dans laquelle elle étudie puis enseigne (les femmes n'ayant alors pas le droit d'aller à l'université, sous la domination russe du pays).
 
Puis après quelques allers retours en France, où c'est l'une de ses sœurs qui se lie à la famille Curie et devient une scientifique renommée, elle finit par assister une grande chercheuse polonaise et par poursuivre ses recherches dans son laboratoire.
 
Le roman alterne les histoires et les chapitres, nous laissant suivre l'évolution de ces deux versions de la même femme, avec leurs similitudes (l'amour de la science, la valeur du travail et la détermination, la maternité, le deuil) et leurs divergences (l'argent, le succès, les relations amoureuses, l'investissement du rôle maternel).
 
D'un côté, la scientifique "star", et son inarrêtable lancée ; de l'autre, la travailleuse simple et discrète.
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Le procédé littéraire est accrocheur et plaisant, mais malgré le style agréable et fluide de l'auteur, trouve au final quelques limites narratives.
 
Le récit de la vie de Marie Curie est passionnant - mais c'est avant tout dû à l'incroyable richesse de son parcours... Et le lecteur qui le connaîtrait déjà n'apprendra ici rien de nouveau. Ca ne m'a pas empêchée d'apprécier ma lecture, pour ma part, car il s'agit bien d'un roman, et non d'une biographie ; mais cela peut décevoir, car le récit, plutôt long, suit un fil très académique.
 
Certains trouveront qu'il souffre de cet aspect un peu trop ordonné : la dynamique du récit aurait certainement bénéficié d'une alternance un peu moins régulière des points de vue, et de quelques bouleversements chronologiques, plutôt que de suivre une structure si linéaire.
 
Ensuite, l'alternance permanente des histoires peut aussi gêner la compréhension. Si la "vraie" version correspond aux grands événements biographiques de Marie Curie (bien que très romancés), celle que l'auteur invente en fait varier les lignes, mais en gardant les mêmes éléments de base (personnages, lieux...). Des similitudes qui créent parfois la confusion chez le lecteur : il faut user d'un peu de concentration pour se rappeler quel sort est réservé dans chaque version, aux personnages secondaires...
 
Et puis l'insistance régulière de l'auteur sur l'impact des choix de vie de Marie/Marya (l'auteur amène chacune des 2 versions de l'héroïne a se poser ouvertement la question, à de nombreuses reprises), finit par sembler un peu trop appuyée - le procédé stylistique suffit déjà amplement à ce qu'on en comprenne l'idée.
 
Malgré tout, la mise en parallèle des deux vies permet de mieux cerner les différentes facettes d'une même femme, et de la rendre attachante malgré son apparente froideur et ses nombreuses failles.
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Au delà de l'hommage à Marie Curie, le double point de vue met en valeur l'idée que le destin suit de toute façon inexorablement son cours, et qu'on ne peut pas lutter contre qui l'on est.

Bien que basées sur des choix différents, et suivant deux directions distinctes, les deux histoires de Marie, en France, et de Marya, en Pologne, s'entremêlent et se rejoignent sans cesse.
 
Les détails diffèrent, mais les défis et l'orientation générale restent les mêmes : toutes deux doivent nourrir sans cesse la même soif inextinguible de connaissance, se battre pour faire reconnaître leur valeur et dépasser la condition féminine de leur époque, accepter de laisser de la place à l'amour, et se positionner avec la même douleur dans un rôle maternel qui les dépasse.
 
Au bout du compte, en ayant vécu deux vies bien différentes, Marie et Marya finissent par le même constat, partageant toutes deux le sentiment qu'elles n'auraient pas été plus heureuses qu'elles n'ont pu l'être, même si elles avaient fait d'autres choix.
 
Car quelque soit le chemin emprunté, elles l'ont embrassé pleinement, en respectant leur personnalité profonde et en s'adaptant à l'adversité.
 
Une belle leçon, transmise au travers du portrait idéalisé d'une femme au destin particulièrement inspirant, que l'on a plaisir à (re)découvrir, sur un fil tendu entre fiction et réalité.
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Publié dans Lecture, Culture

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