Lecture - Vernon Subutex, de Virginie Despentes
Cela fait quelques mois maintenant que j'ai lu le premier tome de "Vernon Subutex", de Virginie Despentes, dont je vais vous parler aujourd'hui...
Mais je trouve que ce livre se prête finalement mieux à la saison actuelle, presque hivernale, un peu plus brutale et plus sombre, comme le livre lui-même!
Ancien disquaire, Vernon Subutex est une sorte d'antiquité à lui tout seul - un cinquantenaire à la vie autrefois rock'n'roll, tombé en désuétude en même temps que son magasin. Une sorte de dandy déchu, qui voit venir sa déchéance.
Au chômage depuis longtemps, vivant au crochet d'un ami, il a peu à peu dilapidé toutes ses ressources, et se retrouve à la rue, ruiné. Mais son charme et son bagout, intacts, ainsi qu'un carnet d'adresses bien rempli, lui permettent de retomber sur ses pattes en squattant à droite à gauche.
Au fil des errances de ce drôle de personnage, le roman offre une foisonnante galerie de portraits, au coeur de la jungle urbaine parisienne.
Tout au long de ce premier tome, une intrigue de fond complexe se tisse petit à petit, comme un fil rouge, autour de la recherche de bandes audio "testament" laissées à Vernon par une star du rock dont il était autrefois proche.
Pourtant, à vrai dire, pendant la majeure partie du roman, on a l'impression qu'il ne se passe... rien. Et malgré tout, on ne s'ennuie jamais!
En suivant Vernon de canapé en canapé, on découvre une chronique à l'acide de la société urbaine contemporaine, au travers des tranches de vie d'une ribambelle de personnages secondaires.
Des portraits à priori disparates qui l'air de rien, sont en réalité liés par une intrigue complexe qui se met petit à petit en place tout au long de ce premier tome (et que j'imagine gagner en densité dans les suivants, que je n'ai pas encore lus).
Virginie despentes dépeint une comédie humaine cynique et désabusée, parfaitement servie par un style nerveux, incisif, et efficace comme un café bien serré.
Son personnage principal, Vernon Subutex, a la complexité des grands personnages. On le déteste, dans tout ce qu'il représente (le je-m'en-foutisme, la vie aux crochets des autres, la manipulation, l'arrogance...) , mais on est aussi incapables de résister au charme profond qu'il dégage.
Les personnages secondaires nous en offrent une vision multiple, dirigée par des points de vue très différents, un peu caricaturaux et même parfois carrément révoltants, mais pourtant criants de vérité.
Du trader au dessus des réalités, à la journaliste aux dents longues ; de l'ex-porn star au coeur tendre, au pseudo-réalisateur qui s'y croit ; ou encore de la bourgeoise en quête du grand amour à la veuve maternante, aucun ne reste insensible à l'aura de Vernon.
Reste qu'une telle concentration de loosers et de cas sociaux laisse quand même dubitatif - le roman est très (et sans doute trop) urbain, et même parisiano-parisien, pour être réellement représentatif de la société dans son ensemble. Les personnages sont tous issus soit des bas-fonds, soit des hautes sphères, et il est un peu difficile d'y croire vraiment, Vernon étant presque le seul à équilibrer cette impression.
On se laisse pourtant sans problème embarquer dans cette fresque moderne et sans concession, aux faux airs de polar.
Le ton est délibérément corrosif, et au fil des portraits sont brassés des thèmes majeurs et provoc, comme le féminisme, la drogue, le sexe, le racisme, la bourgeoisie, le genre et l'identité...
Autant de sujets et de points de vue qui offrent au récit son lot de formules chocs, au coeur d'une observation cynique et souvent peu reluisante du monde d'aujourd'hui. L'oeil affuté de l'auteur fait réellement merveille dans ce registre.
Couplé avec un style marqué, un phrasé à la mitraillette, et une atmosphère générale sombre et un peu trash, il est certain que ce roman ne plaira pas à tout le monde.
La mécanique du récit, un peu répétitive, peut en lasser certains ; le ton acerbe, tranché, peut aussi sembler excessif, et il peut être difficile à certains de se laisser entraîner dans cette vision du monde pessimiste, violente et dérangeante.
C'est pourtant ce qui a pour moi fait sortir ce livre du lot, et pour ma part, je me suis laissé complètement happer par le style diablement efficace de Virginie Despentes (dont je connaissais uniquement la réputation sulfureuse, sans en avoir jamais lu d'autres livres).
Dès les premières pages, j'ai eu du mal à lâcher ce roman, et je me suis retenue de lire immédiatement la suite, pour mieux la savourer.
Mais après ces quelques mois de pause, et le gris de l'hiver revenant, je me laisserai sans doute bientôt tenter par la suite!
{Si la série vous tente, vous pouvez vous la procurer ici.}