Sommes-nous en train de perdre notre sens critique?

Plus j'utilise les réseaux sociaux, et plus je désespère... j'ai bien peur que nous soyons définitivement en train de perdre notre sens critique.
Si vous prenez le temps de lire ces lignes, vous n'êtes sans doute pas les plus concernés, en réalité... Mais d'une façon générale, j'ai l'impression que la plupart des gens ne prennent plus le temps de lire, et surtout d'aller au delà des apparences ou de prendre du recul sur ce qu'ils lisent.
Ces dernières années, les réseaux sociaux ont pris une importance énorme dans notre rapport à l'actualité, et dans notre façon de "consommer" l'information. Directs, rapides, ciblés, ils ont ouvert grand la voie à une nouvelle façon de se renseigner, à chaud.
Un attrait indéniable, pour garder une prise directe avec ce qui se passe dans le monde, en temps réel ou presque... Mais malheureusement aussi, le risque d'une certaine facilité, car on ne se laisse plus le temps de digérer l'info et la remettre en perspective.
Bien plus qu'une impression, c'est maintenant pour moi une certitude, qui me fait froid dans le dos : à force de vouloir aller vite, on réfléchit de moins en moins.

Accros à nos smartphones, on a pris l'habitude de leur défilement continu d'information toute prête.
Alors on déroule, mécaniquement, indéfiniment, en cherchant à assimiler un maximum d'information en un minimum de temps - mais au final, on survole, quitte à négliger le fond.
Pour avoir le sentiment de "rester à jour", et d'être dans le coup par rapport à tout ce qui buzze, on se contente souvent de ce qu'on trouve en surface, sans aller creuser au delà. Pour aller vite, on privilégie l'information sous sa forme la plus brute, directement sur les réseaux, délaissant d'autres médias plus complets.
A force d'évoluer dans un monde où la rapidité et productivité sont érigées en qualités suprêmes, on voudrait tout savoir tout de suite...

... au risque de négliger, ou même de dénaturer l'information de départ.
La recherche perpétuelle de nouveauté crée un rythme infernal : à peine publiée, une info chasse l'autre... Une rapidité qui nous amène à traiter souvent l'info par le prisme de l'émotion, plus que par celui de la réflexion et du recul.
Combien d'entre nous vont aujourd'hui ouvrir un lien et lire l'intégralité d'un article, au lieu de se contenter d'en lire juste le titre? Qui prend encore réellement le temps de vérifier une source, ou de confronter différents points de vue sur un sujet, avant de s'en faire une idée précise?
Plus souvent qu'à mon tour, je me limite moi-même aux grandes lignes que je lis ça et là, juste histoire de me tenir au courant. On ne peut pas prendre le temps de tout lire en détails, surtout alors qu'on est aujourd'hui hyperconnectés et surchargés d'infos!
Mais lorsqu'un sujet m'intéresse vraiment, ou que je ressens un doute sur ce que je viens de lire, j'essaie quand même de prendre le temps de creuser un peu plus... Au moins histoire de ne pas paresseusement reposter à mon tour une info qui s'avèrerait creuse ou même complètement fausse.
Pourtant, j'ai l'impression que beaucoup ne se donnent jamais cette peine.

C'est sûrement sur Twitter que l'on s'en rend le plus compte... C'est souvent édifiant.
Un exemple auquel je repense, remonte à quelques mois. D'un coup, une information se met à buzzer : "Le Pape François recommande la psychiatrie aux enfants homosexuels". Évidemment, tollé général : et chacun de retweeter l'article, en s'insurgeant.
Choquée, comme beaucoup, d'un discours si ouvertement dangereux et rétrograde, j'ai quand même trouvé ça bizarre... Alors j'ai pris le temps de lire l'article en question.
En réalité, le propos semblait bien différent : dans son interview, le Pape recommandait en fait aux parents d'enfants homosexuels de les accompagner au mieux, en se faisant au besoin aider dans cette démarche par un psychologue.
Sans discuter du fond, sur la forme, l'information s'était complètement perdue au fil d'erreurs de traduction et de titres racoleurs. Mais ça ne l'avait aucunement empêchée d'être immédiatement et massivement reprise telle quelle par des milliers d'utilisateurs.
Et l'histoire se répète sans arrêt, sous des tas de formes différentes...

Quels que soient les réseaux sociaux concernés, d'ailleurs - à des degrés divers, aucun n'est épargné.
Vous rappelez-vous avoir ainsi vu sur Instagram, il y a quelques mois, des milliers de personnes partager d'un coup la "recherche d'ambassadeurs" d'une obscure agence de voyage, promettant des voyages gratuits à des comptes de plus 200 abonnés, en échange d'un simple abonnement et d'un repost?
Il n'y a pas grand monde qui ait pris le temps de considérer que ça n'avait pas de sens, et qu'une petite entreprise n'aurait pas grand intérêt à se montrer si généreuse pour un retour médiatique si minime...
Beaucoup ont tenté le coup, tombant ensuite de haut en réalisant qu'il ne s'agissait que d'un coup de com, pour bâtir en seulement quelques jours un listing de milliers d'abonnés et le revendre au plus offrant!
Pris comme ça, ce ne sont que de petites choses anecdotiques, sans grandes conséquences...

Mais de telles situations sont quotidiennes, et je crois que c'est assez significatif de notre perte d'esprit critique.
Les "fake news" de toutes sortes sont légion sur les réseaux, et finissent toujours par y trouver un relai massif. Si elles semblent heureusement toujours finir par être rattrapées, elles ne cessent de prendre de l'ampleur, au point qu'on ait dû tenter de légiférer le sujet - avec un succès visiblement très mitigé - pour tenter d'enrayer le phénomène.
Même si la forme que ça prend prête parfois à sourire, j'avoue que la perte progressive de notre capacité de réflexion me fait au final très peur pour notre avenir, et celui dans lequel nos enfants vont évoluer. J'essaie de ne pas trop m'inquiéter des risques vertigineux que ça représente pour la société en général...
Mais je constate combien on prend de plus en plus ce pli d'aller systématiquement à la facilité, et je vois les dangers que cela implique : oublier que toute l'information diffusée sur les réseaux n'est pas forcément vraie, ni neutre, et occulter qu'elle s'inscrit toujours dans un contexte. La porte ouverte à bien des dérives...
Il me semble du coup de plus en plus essentiel aujourd'hui d'apprendre à nos enfants à exercer leur sens critique, et à ne pas systématiquement tout croire.

Bien savoir se servir des réseaux, ce n'est pas seulement avoir une maîtrise technique de l'outil ; comme le reste, ça s'apprend.
Et c'est un sacré défi... Pas si facile à mettre en place, j'imagine! Car même si j'essaie de veiller sur ce point dès à présent, mes filles sont encore bien trop petites pour que je puisse me rendre compte réellement de la difficulté de la tâche...
Les amener à développer un regard éclairé, de façon autonome, passera certainement par développer d'autres capacités, telles que la curiosité, l'écoute, la discipline, et l'aptitude à se remettre en cause.
Il nous faudra leur apprendre à s'affranchir des préjugés, à rester ouvertes à d'autres façons de penser, et à savoir prendre le temps de se renseigner et de confronter différents points de vue.
Malgré tout, je conserve l'espoir que pour elles comme pour nous, ça ne soit pas insurmontable...
Mais je crois qu'il nous faudra, en tant que parents, vraiment prendre garde à y veiller au plus près. D'ailleurs je devrais peut-être aller m'informer un peu, pour voir! ;o)
