[é]coming-out
Il est temps que j'assume, et que j'ose enfin le dire haut et fort : voilà... je suis écolo.
Pas une grande affaire, me direz-vous? Je suis bien de votre avis, en fait. Ça n'a rien de bien extraordinaire... Et pourtant, essayez de parler d'écologie au delà du cercle de vos proches (et même peut-être aussi dedans...), et vous verrez : le débat s'enflamme assez rapidement.
Bien que l'écologie gagne partout du terrain en réaction à l'urgence climatique, elle reste au fond encore assez mal perçue, et souffre d'une image hippie-bobo-élitiste dont elle n'arrive pas tout à fait à se défaire.
Être "écolo", aujourd'hui, c'est parfois difficile à assumer, tant c'est presque devenu une insulte dans la bouche de certains, qui gardent toujours un petit sourire en coin lorsqu'ils évoquent ce mot.
Utopiste, élitiste, déconnectée des réalités, moralisatrice...
Même si l'idéologie vertueuse de l'écologie ne laisse personne indifférent, son application pratique cristallise les critiques, au sein même de ses sympathisants.
L'écologie progresse de manière continue parmi les principales préoccupations des Français ; et si cet engouement se reflète aujourd'hui plus massivement dans les urnes, il n'est pas toujours perceptible partout au quotidien.
Entre les activistes extrémistes, qui versent volontiers dans la provocation pour faire réagir, les chefs de file souvent peu charismatiques et mal considérés dans l'échiquier politique, et les jusqu'au-boutistes du zéro déchet démesurément ascètes, les modèles du mouvement sont assez brouillés, et ne semblent pas toujours aussi sympathiques que les idées qu'ils défendent.
Peu d'entre eux semblent avoir un réel ancrage avec le quotidien, tel que les citoyens lambda que nous sommes le vivent ; alors le mouvement manque de vrais modèles 'réalistes' à qui se raccrocher.
Ce sont donc souvent de simples sympathisants qui finissent par porter l'image de l'écologie, en partageant autour d'eux la façon dont elle s'intègre réellement à leur vie de tous les jours. Ainsi est apparue tout une vague d'influenceurs "green", dont les astuces applicables au quotidien ont favorisé l'éveil d'une conscience écologique à large échelle.
Petit à petit, le sujet est devenu "tendance" sur les réseaux, puis s'est répercuté de plus en plus largement dans la société en général, jusqu'à devenir aujourd'hui incontournable.
Il était plus que temps, à vrai dire! Mais cette "démocratisation" de l'écologie ne va pourtant pas sans éveiller quelques crispations.
En quelques années, l'écologie est vraiment entrée dans le domaine public. Non qu'elle n'y ait pas toujours été - mais elle restait auparavant un peu à la marge, cantonnée au rang des "extrêmes" tant elle s'avérait encore abstraite et théorique pour le plus grand nombre.
En intégrant peu à peu la sphère quotidienne, elle a acquis un statut nouveau, plus reluisant et même aujourd'hui un peu "glamour" : afficher ses efforts, partager ses actions vertueuses, encourager une prise de conscience autour de soi, c'est aujourd'hui valorisant, et valorisé. L'écologie acquiert même une image proprette et lisse, boostée par le décor stylisé et minimaliste du zéro-déchet à la mode 3.0 (quoi, ils sont pas beaux mes petits bocaux à vrac tout bien alignés?^^).
Si c'est bien sûr bénéfique, cela encourage aussi une sorte de "compétition" un peu malsaine à celui qui sera le plus "clean", le plus exemplaire, le plus parfait. Avec au final, le risque de voir l'écologie se déconnecter de nouveau de la réalité.
Lorsque je vous fait ci-dessus mon coming-out écolo, je ne rigole donc en fait qu'à moitié...
Car en fait, malgré mes convictions, il m'a fallu du temps pour me considérer moi-même comme écolo, parce que je ne me sentais pas tout à fait légitime en tant que telle.
Si je tend depuis longtemps vers un mode de vie plus responsable, et que je fais des efforts au quotidien pour changer mes habitudes de vie et de consommation en conséquence, j'avance pas à pas, à mon rythme, plus vite sur certains plans que sur d'autres. Je sais qu'il me reste de nombreux points à améliorer.
J'avais donc tendance à m'en sentir gênée, et à ne pas me catégoriser moi-même comme écolo... Comme si mes actions n'étaient pas suffisantes par rapport à l'ampleur du changement nécessaire, et que je n'en faisais pas encore assez par rapport aux autres. Surtout qu'après avoir "ouvert les yeux" sur certaines habitudes, je suis maintenant consciente de mes erreurs, et m'en sens parfois coupable.
Pourtant, même s'il est vrai que mes actions ne sont pas suffisantes, elles sont là, déjà - et s'amplifient chaque jour. Et en fait, c'est déjà énorme! Car on n'a pas besoin d'une poignée de personnes au comportement parfait, mais plutôt de millions de personnes qui, comme moi, font maintenant attention, et changent ce qu'elles peuvent.
Si je me compare à mes modèles en termes d'écologie, j'ai l'impression d'en faire bien peu, et de ne pas avoir, comme elles, directement les bons réflexes... Mais si je prend du recul, je réalise que j'ai en fait déjà bien évolué, et que j'en fais sans doute déjà plus que la moyenne.
Comme moi, beaucoup ressentent maintenant une certaine "pression" écologique, qui culpabilise et continue malheureusement de décrédibiliser le mouvement.
Car aujourd'hui, quand on aborde publiquement le sujet, il y a forcément quelqu'un pour pointer du doigt nos erreurs, plutôt que d'encourager nos efforts.
De la petite attaque acerbe de Tonton Jacquot, aux repas de famille ("ah ben tiens, tu vois, t'es pas si parfait(e) alors! - gros clin d’œil appuyé) aux commentaires abrupts en mode public ("tu te dis écolo et puis là tu manges du Nutella, je suis déçue!"), il existe une armée d'écolo-extrémistes prêts à traquer le moindre faux-pas, et à nous tomber dessus le moment venu.
Comme si être écolo, ça voulait forcément dire être irréprochable... Mais non! Faire mieux, ça ne veut pas dire faire toujours au mieux, et ça n'empêche pas des erreurs et des contradictions - ni même parfois quelques renoncements faits en pleine conscience. (j'avoue que ça m'horripile par exemple de voir certaines influenceuses aller jusqu'à s'excuser à demi-mots d'avoir eu plusieurs enfants, parce que ce n'est pas écolo!...)
Je reste persuadée que l'écologie n'est pas au fond qu'une histoire d'actes, mais avant tout de conscience, d'ouverture d'esprit, de volonté.
Il ne faut pas oublier que nos actions individuelles, tout aussi parfaites qu'elles soient, ne suffiront jamais à changer à elles seules le cours du monde. Quelle pression terrible ce serait de croire que ça ne repose que sur nous!
Et à l'inverse, ce n'est pas non plus parce que la clé réside plus dans des décisions gouvernementales et dans un vrai changement sociétal, qu'il faut se dédouaner ou stopper nos actions individuelles. Car c'est en se répandant naturellement dans les usages, qu'elles prendront du poids dans l'opinion publique, et finiront pas être reprises massivement dans la sphère sociale et politique.
C'est d'ailleurs, je crois, un train en marche...
Et même s'il est encore trop lent pour les écolos de la première heure, il faut accepter que ça prenne du temps, et que certains se raccrochent au wagon en cours de route.
Ça a été mon cas, il y a quelques années ; celui de bien d'autres encore, après moi ; et il reste encore beaucoup de monde à laisser monter. Mais ce n'est pas en leur laissant miroiter qu'il faut absolument être parfait, qu'on va accélérer.
Mieux vaut tendre la main, et garder en mémoire qu'on était pareils, au début, et qu'il nous a fallu cheminer pour arriver là où on est ; qu'on a appris, expérimenté, ajusté, en fonction de ce qu'est notre vie.
Lorsqu'on a déjà bien entamé cette démarche, notre point de vue sur le monde change considérablement ; tout ce qui nous paraissait naturel, avant, ne l'est plus forcément. Certaines de nos anciennes manières de faire nous deviennent impensables ; nous développons de nouveaux réflexes, trouvons des alternatives, abandonnons certaines habitudes.
Ce parcours ne peut en aucun cas être jugé sur une seule action, ni même plusieurs...
C'est bien trop simpliste de les pointer du doigt, sans prendre en compte le tableau global, ni même notre part d'humanité.
Il faut garder à l'esprit qu'aujourd'hui encore, être écolo n'est pas forcément à la portée de tous, qu'il faut un certain niveau de vie, d'information, et d'organisation, pour l'appliquer au quotidien.
Chaque geste compte - même les plus petits ; on doit s'en féliciter, plutôt que les minimiser. Mais il ne faut pas non plus tomber dans l'effet inverse... Quand on s'investit dans l'écologie, on ouvre les yeux sur tout un tas de choses, et l'on aimerait que les autres le réalisent aussi. A vouloir propager "la bonne parole", on peut sans s'en rendre compte tomber dans le piège de devenir celui qui en fait trop, et qui culpabilise les autres...
Or regarder les autres de haut, quand on est passés de l'autre côté du miroir, ou même carrément les rabaisser en leur faisant des remarques, c'est au final contre-productif.
Cela pourrait même, si le procédé continue à se généraliser et à gangréner les réseaux sociaux, finir par braquer de bonnes volontés, et par freiner le mouvement de masse que nous voyons pourtant enfin doucement émerger aujourd'hui.
Informer, montrer, encourager, c'est ça qui rendra au final le message et son application réelle enfin accessibles à tous, de façon durable. Et c'est aussi en partie ça, d'être éco-responsable ;o)