L'ombre et la lumière
5h54, il y a 6 ans... Dehors, la nuit était encore noire ; mais tu venais d'y apporter toute ta lumière, perçant le brouillard dans lequel j'étais encore un peu plongée.
Tes yeux noirs si intenses s'ancraient dans les miens, et si j'étais encore un peu ailleurs, leur saisissante force me marquait à jamais.
Une présence magnétique, à laquelle j'avais alors l'impression de ne pas faire honneur : ton arrivée brutale, rapide et incontrôlée, m'avait laissée un peu de côté, plusieurs heures s'écoulant avant que je ne reprenne pieds.
Pendant ce temps là, alors que je te découvrais, dehors l'aube se levait : sans doute le meilleur moyen te représenter. Un mélange d'ombre et de lumière, dans un combat toujours gagné par l'éclatante lueur qui chaque jour finit par s'imposer.
Ma douce, mon ardente ; ma tendre, ma sauvage ; mon coeur de beurre, mon zébulon grognon.
Ma toute belle, un peu rebelle, toujours duelle.
Tu souffles toujours le froid puis le chaud, et balances sans arrêt entre sombre et clarté. Pas d'entre deux chez toi ; d'une manière ou l'autre, il faut toujours que tu te fasses remarquer, que tu sois courroucée ou au contraire enjouée.
La moindre contrariété, et tu boudes, rouspètes, tempêtes, et même parfois agresses ; puis un câlin, un retour d'affection, et tout s'efface - d'un coup tu brilles, tu blagues, tes yeux pétillent et tu irradies d'amour et de joie.
Tu traînes la patte, 10m derrière, ou alors tu sautilles gaiement en avant ; tu te caches pour pleurer, tu rumines, on t'entend tout juste marmonner, ou au contraire tu prends toute la place, chantes et cries à tue-tête. Pas de demi-mesure : d'un côté comme de l'autre, tout est toujours marqué.
Avec toi, on ne s'ennuie jamais. Tant de tempérament, parfois, ça exaspère, et d'autres, ça éclaire : à ton corps défendant, tu transmets ton humeur, presque instantanément.
Bien sûr c'est toujours mieux quand ton humeur est bonne... Mais cette année, tu as quand même souvent été plutôt bougonne.
Quelle drôle d'année, aussi! Apprendre à devenir grande sœur, au milieu d'une pandémie et de deux confinements - le niveau est monté d'un cran...
Toi qui aime être au centre de tout, il t'a fallu lutter pour retenir l'attention, au milieu de tant de distractions. Pas si facile de t'imposer, entre une nouvelle arrivée, des parents occupés et un quotidien chamboulé...
Beaucoup de sentiments accumulés, qui finissent par ressortir en petites fumées.
Alors tu râles, pour la forme, d'emblée, avant de réfléchir et parfois t'apaiser ; tu cries à l'injustice, tapes doucement du pied, et fais mine de n'écouter que ce qui te plaît. Tu t'emballes pour un rien, tellement pour rien d'ailleurs que ça part comme ça vient.
L'intérieur en désordre, et bien peu de place, c'est vrai, pour pouvoir exploser en toute liberté...
Il t'a fallu passer cette année en partie confinée, avec ton espace toujours partagé, avec nous et surtout ta grande sœur qui ne te quitte jamais.
C'est pourtant si beau, cette complicité, et l'amour fusionnel que vous vous portez ; mais c'est aussi une cage dorée d'où il t'est un peu dur de t'échapper.
Tu voudrais parfois t'émanciper, affiner tes goûts et tes idées ; mais dès que Chouquette s'éloigne, on te sent perdue, vulnérable, ébranlée. Sans t'appuyer sur elle, tu ne sais pas encore te positionner.
Pourtant tu sais très bien lui opposer ta volonté! Et quand tu as besoin, toi, d'un peu de liberté, tu n'hésites pas à l'envoyer valser. Elle aussi râle alors, pour la forme ; mais souvent elle finit par se plier à tes souhaits, ayant bien vite fait de te pardonner.
Comme nous tous, elle ne sait pas longtemps te résister...
Car ton irrésistible charme finit toujours par nous envoûter.
Quelque soit ton humeur, tu réussis à glisser chaque jour un peu de surprise dans nos vies - un enchantement sans fin, et des sourires garantis. C'est un cadeau précieux, et une douce magie, qui nous fait oublier toutes tes pleurnicheries...
Ma petite paillette, tu sais si bien faire de chaque jour une fête, en laissant jaillir sans cesse de petites étincelles autour de toi!
Comme ces petits surnoms mignons, que tu donnes chaque jour à Comète ("mon bouchon", "ma brindille", "ma noisette", "mon petit clown", ou encore "ma casserole" (!) - ça part dans tous les sens, au gré de ton inspiration) ; ou ce troupeau imaginaire auquel tu ajoutes sans cesse de drôles de bêtes magiques et mythologiques (hier encore, 3 griffons, une licorne et un mouflon - chacun avec son propre nom!).
Tu n'es jamais à court de facéties et de bons mots, et tu trouve toujours de nouvelles manières d'améliorer le monde autour de toi.
Au delà d'être ta maman, cette année j'ai été ta maîtresse, ta cantinière, ton infirmière, et même un peu ta psy.
J'ai eu un temps inespéré pour pouvoir t'observer.
Je t'ai vu tanguer, chercher ta place dans notre nouvelle famille, t'accrocher fermement à ton ancien statut de "petite dernière", puis accepter peu à peu de grandir, vraiment.
Quels progrès entre tes jours d'école à la maison, où je m'arrachais les cheveux à te faire tracer sans succès des lettres droites et bien formées, et les mots et dessins précis et détaillés que tu multiplies fièrement depuis les mois suivants!
Quel plaisir à t'avoir vu prendre confiance, t'initier au ski, lâcher les roulettes de ton vélo, jouer avec les chiffres et lire tes premiers mots, cuisiner avec ton papa, essayer le yoga, et veiller sur ta petite sœur.
Quelle tendresse à te voir abandonner "chien-chien", ce double infernal à qui tu faisais faire toutes sortes de bêtises, et laisser doudou dinosaure dans ton lit, maintenant, lui qui devait encore t'accompagner partout il n'y a pas si longtemps...
De toi il se dégage un véritable élan - on te sent juste au bord de quelque chose de plus grand. Encore vacillante ; mais avec ton équilibre à toi, penchant d'un côté puis de l'autre dans un doux balancement, te jouant de la gravité sans jamais tomber, car tu sais toujours bien quand il faut t'arrêter.
Il ne te reste plus qu'à choisir un côté : l'ombre ou la lumière, il te faudra trancher. Mais à bien y réfléchir, et si je me fie à la symbolique de ton si beau prénom, je devine déjà ce que ça va donner.
Tu trouveras ton propre moyen de garder l'ombre comme la lumière - en sachant toujours créer des arc-en-ciel, à la fois doux et flamboyants, comme tu l'es toi-même.