Courir après le temps
Ça se rapproche... Je pourrai fermer les yeux encore quelques temps devant ce qui m'attend, mais le compte est presque bon : aujourd'hui 39, et l'an prochain, 40.
Quel jour bizarre pour un anniversaire... Déjà, aujourd'hui c'est Pâques, et en plus, nous sommes en confinement : beaucoup de raisons pour que cette année, mon jour à moi se fasse plus que discret. En catimini, presque oublié, comme un acte manqué.
Et puis 39 ans, c'est l'âge de rien - celui de juste avant, celui du "sursis", en quelque sorte. Les derniers jours d'un condamné, ou quelque chose du genre, sans être si dramatique!
Parce que la quarantaine, c'est un tournant qu'on redoute tous un peu, quand même... Ça m'a toujours semblé si loin, pourtant. Si vieux, quand on est jeune, et probablement si jeune, quand on est vieux - quelque part dans nos têtes, "la moitié de...", et le début de la fin, peut être.
Pourtant, je suis à l'aise avec qui je suis, vieillir ne me fait pas trop peur, et j'ai déjà tout ce que j'attendais de la vie.
L'an dernier, je vous faisais part de ma perdition entre deux eaux - l'incertitude qui avait envahi ma vie en avait redistribué les cartes, brouillant les pistes et m'obligeant à avancer un peu à tâtons.
Ne plus savoir où j'allais m'a paradoxalement guidé la voie - alors que la vie me mettait face à un nouveau carrefour, j'ai écarté la ligne droite d'un retour à la "normale" pour orienter définitivement mon chemin vers une vie de famille encore plus riche, en décidant de céder à l'envie profonde d'accueillir un troisième et dernier enfant.
A l'heure du traditionnel bilan de ma petite vie, je savais déjà que je n'aurais plus à me centrer sur la mienne pour un temps, mais sur celle d'un nouvel être à venir. Un choix évident, même s'il n'est pas venu sans doutes... Évidemment, ça a marqué au fer blanc toute l'année de mes 38 ans... mais comment mieux occuper mon temps?
J'ai passé toute l'année à la laisser croître en moi ; elle prenant de plus en plus de place, et moi m'effaçant petit à petit, au moins pour un temps. J'ai mis tout un pan de ma vie en pause, pour en vivre plus intensément un autre... Autant un retour aux sources, qu'un saut dans le vide.
Il m'a fallu longtemps pour réaliser l'ampleur du changement que j'imposais à ma vie, et surtout sa réalité.
Je me rend compte qu'en donnant la vie à Comète, j'essaie sans doute un peu de courir après le temps.
Pour prolonger encore un peu les années les plus riches de ma vie, assurément ; pour essayer aussi de rattraper l’effervescence de la petite enfance qui commençait à s'éloigner de moi...
En relançant la machine, je tente peut-être aussi de laisser mon corps et mon esprit rajeunir, par le biais de cette nouvelle vie qui, elle, ne fait que commencer.
Tant qu'il était encore temps... Tant que mon corps me le permettait, tant que la vie m'envoyait les signes que le moment était venu, tant que j'en avais l'envie, la force et l'énergie - il me fallait écouter cette petite voix, au fond de moi, qui me poussait à saisir la dernière occasion, à m'y jeter éperdument, avant de clore ce chapitre de ma vie - celui d'une jeune maman.
Même si je ne me sens pas veille, je dois bien admettre que donner la vie à Comète est sans doute une forme de combat contre le temps qui passe, une tentative de retarder l'échéance en remettant le compteur à zéro.
Parce que je ne sais que trop bien combien ces moments si intenses passent vite, et qu'en un à peine un clin d’œil, nos bébés n'en sont plus, et nous laissent derrière eux...
Que tout ce temps qu'on leur consacre, cette part de nous qu'on met en suspens, ces moments où l'on se met soi-même en retrait ne sont en fait qu'un claquement de doigts.
Réinitialiser le cycle une dernière fois, c'est recréer un nouvel espace temps où chaque instant prend un parfum d'éternité, où chaque première fois devient aussi dernière fois. Et me laisser emporter par un nouveau rythme, aussi violent que doux, aussi effréné que suspendu.
Peut-être que je redoute qu'après le tourbillon de ces dernières années, toutes ses découvertes, ses projets, ses surprises, la suite ne me paraisse trop calme... Alors je m'assure une dose de bonheur en plus pour la vie à venir.
Même si je sais qu'elle me réservera sans nul doute elle aussi des merveilles, ce ne sera plus des moments comme ceux là, qui m'ont procuré tant de joie ; alors j'essaie de les retenir, le plus longtemps possible.
D'en saisir chaque miette, pour en faire des réserves pour la suite, et m'en nourrir encore et encore, le reste de ma vie.
Ce combat contre le temps sera de longue haleine, et je ne gagnerai pas, je le sais bien...
Aujourd'hui je gagne la première manche, en le forçant à ralentir, à me laisser le temps de la découverte, de la fusion, et du repli - encore plus même maintenant, avec le confinement, et sans doute ses conséquences sur les mois à venir.
Lorsqu'il s’accélérera, je pourrai peut-être encore garder la main sur une deuxième manche, en revivant les uns après les autres tous ces moments si forts qui marquent les premières années d'un enfant... Je me sentirai vibrer à nouveau, je retrouverai ce sentiment d'avancer à pas de géant, et d'aller sans arrêt de l'avant.
Mais le temps reprendra vite son rythme frénétique, et me laissera bientôt, encore une fois, un peu sur le carreau - il me faudra alors cette fois, pour de bon, terminer cette partie et apprendre à me réinventer, à ne penser qu'à moi, et à consolider l'après.
Un bien vaste chantier... pour lequel je ne suis peut-être finalement pas encore tout à fait prête, je crois. Il me faudra encore un peu de temps, justement...
On en reparlera à ces fameux 40 - en attendant, laissez-moi croire que je pourrai battre le temps, et le figer sur ce moment!
(surtout qu'à défaut d'une vraie fête, un bon gâteau d'anniversaire m'attend^^)