De l'autre côté

Et voilà, 42 bougies de soufflées! Et l'impression de laisser partir en fumée avec elles une partie de ma vie...

L'an dernier, j'intitulais mon traditionnel billet-anniversaire "la bascule", dans cette idée que la balance pencherait désormais de "l'autre" côté, celui du début de la vieillesse et du déclin.

Pas d'un coup, bien sûr - on n'est pas encore dans le 3ème âge, faut pas exagérer^^ - mais, symboliquement, j'avais en quelques sorte dit au revoir à ma jeunesse, que je sentais déjà derrière moi.

Sans regrets - j'aime l'âge que j'ai, avec ses avantages et ses défauts ; mais aujourd'hui, à 42 ans, ce sentiment d'avoir vraiment basculé est définitivement ancré.

Bien sûr, mon état de santé a accéléré cette impression ; mais c'est un ressenti général, rendu plus tangible par l'accumulation des signes, de plus en plus réguliers, tout autour de nous.

Les mauvaises nouvelles, les ratés, les départs, les soucis de santé, et même les décès, se font petit à petit réguliers dans notre paysage.

C'est dans l'ordre des choses ; mais ces chocs que l'on vivait de manière très exceptionnelle, avant, ne nous surprennent plus tellement, maintenant.

A une copine qui s'étonnait d'avoir autour d'elle autant de mauvaises nouvelles "ces derniers temps", j'ai répondu cette évidence, que je n'avais encore jamais ressentie aussi profondément auparavant : ça n'a rien d'une coïncidence...

C'est juste qu'on vieillit. Et que notre monde, autour de nous, aussi. Les problématiques auxquelles on est désormais confrontés en sont juste le reflet.

Les manifestations physiques de mon vieillissement, les cheveux blancs, les premières rides, les fines tâches sur le dos de mes mains, les varices qui ressortent, le gras bien installé... J'y fais déjà face depuis plusieurs années, je m'y suis habituée... Mais cette fois, c'est le reste que je sens vieillir, à vitesse grand V.

Les enfants qu'on a vu naître grandissent, certains deviennent même adultes aujourd'hui ; le rythme de nos avancées ralentit ; les remises en questions se font plus nombreuses, plus profondes ; les projets sont moins évidents, moins réussis, aussi... et notre santé commence à flancher, tandis que nos aînés déclinent.

L'insouciance laisse la place à la maturité ; mais cela passe par des étapes plus compliquées.

A mon propre niveau, ça n'a pas (encore?) pris de virage serré - mais petit à petit, je sens bien que la direction a subrepticement changé.

Notre petite dernière a plus de 3 ans, la petite enfance est cette fois définitivement derrière nous ; et de l'autre côté, notre grande, bientôt 11 ans et au collège, commence à aborder le virage vers l'adolescence. Notre parentalité change en même temps qu'elles, elle devient plus souple, plus ouverte, dans l'attente des nouveaux défis d'éducation qui ne manqueront pas d'apparaître bientôt.

Dans une vie familiale et professionnelle désormais accomplie, nos ambitions ne sont plus les mêmes, s'éloignant d'un schéma social standard que nous avons déjà atteint. Elles auront bien sûr encore l'occasion d'évoluer, de s'affiner -mais elles sont moins évidentes à déterminer que par le passé.

On sent bien, désormais, ralentir notre lancée : on avance désormais à pas plus feutrés, sur les bases de ce qu'on a déjà construit par le passé. La structure est déjà là ; place maintenant aux finitions, parfois minimes et discrètes, pour peaufiner ce qu'on a créé. 

Vous l'avez sans doute suivi, ces derniers mois ont été jalonnés de coups durs pour moi : nos projets immobiliers avortés, la découverte de mon cancer du sein...

Autant de moments difficiles, coup sur coup, au moment où j'espérais profiter pleinement de ce qu'on avait précédemment construit.

En relisant aujourd'hui ce que j'avais écrit, il y a tout juste un an, je trouve une certaine ironie, si ce n'est une certaine prescience, aux mots que j'avais alors écrits : "une part de moi se demande : que va-t-il se passer, après, à partir d'aujourd'hui? L'avenir me permettra-t-il vraiment d'en récolter les fruits?"...

Je me le demande plus que jamais aujourd'hui, tant les événements de ces derniers mois ont bousculé la vision que j'avais de ma vie...

Même si j'en avais déjà conscience, ils m'ont fait intégrer que tout n'est pas acquis, ni même d'avance gagné. Quelques soient les efforts et les plans qu'on met en place pour l'avenir, celui-ci ne dépend pas que de notre volonté, et il faut s'y adapter.

C'est une idée que j'ai toujours gardée dans un coin de mon esprit : celle que la chance insolente que j'avais eue jusqu'à présent allait un jour s'arrêter, et que j'allais devoir, à un moment, la payer. Un mal contre un bien, pour maintenir l'équilibre ; une contrepartie que j'accepte, sans amertume, mais à laquelle je ne m'attendais juste pas à être si vite confrontée.

C'est peut-être aussi ce qui m'amène à vivre les épreuves avec sérénité, sans me laisser trop affecter.

Car une part de moi savait qu'à un moment ou à un autre, des désillusions arriveraient, et qu'il faudrait les accepter...

Cette fois, on y est. Peut-être - sans doute, même - qu'il y aura encore d'autres contrariétés, après... Mais tout aussi difficiles qu'elles soient, celles auxquelles je suis aujourd'hui confrontée me semblent pour l'heure limitées, et de nature à ce que je puisse, tant bien que mal, les surmonter.

Alors je continue à voir la chance dans ma malchance. Même si la peur et la douleur sont entrées dans ma vie, que mon rythme est pour l'heure ralenti, et que ma vision de l'avenir en est profondément changée.

J'ai vécu quelques moments très durs durant cette 41ème année, et ça m'a forcément amenée à prendre beaucoup de recul sur ce qu'est ma vie, sur ce que j'en ai fait, et ce que j'en laisserai.

Une occasion unique de faire le point sur ce que j'ai accompli, et de mesurer à quel point ma vie m'épanouit, telle qu'elle est. A l'heure où l'on cherche toujours plus, mieux, sans être jamais satisfait, moi je me contente avec bonheur de mon petit train-train routinier. 

Le regard que je porte aujourd'hui sur mon chemin est tendre et positif, tant je n'ai aucun regret sur les choix que j'ai faits.

On dit toujours qu'on trouve aussi du positif dans l'adversité... Je sais aujourd'hui combien c'est vrai.

Même si les épreuves auxquelles j'ai fait face ne m'ont pour l'instant rien appris de nouveau, elles m'ont montré l'ampleur incroyable des forces sur lesquelles je peux me reposer.

Celle de l'amour infini des miens, qui m'ont manifesté en masse leur soutien, par leurs douces attentions et leur attitude au quotidien ; et celle de mon équilibre intérieur, déstabilisé mais toujours assuré, dont j'ai pu réellement éprouver la solidité. Sans oublier celle de mes idées, toujours bouillonnantes de créativité ou de projets, pour couvrir en toutes circonstances mon monde de beauté.

Dans chacune de ces forces, je trouve une énergie encore renouvelée. Je ne sais toujours pas ce que l'avenir me réserve - mais j'ai une conscience plus accrue des risques qu'il comporte ; et lorsque je dis que je me sens de taille à faire face, ce ne sont désormais plus que des mots, mais une réalité éprouvée.

Alors, oui - mes  42 ans sont un peu désabusés... Ce bilan est sans doute un peu plombant, mais ce n'était quand même pas ma meilleure année!^^

Je sens que la balance est de plus en plus penchée, et que le poids de mon expérience est maintenant trop lourd pour la ramener de l'autre côté.

Mais c'est un mal pour un bien : je n'en ai que plus conscience qu'il faut profiter pleinement du reste de ma vie, même au ralenti, même dans l'adversité. Et je compte bien m'y atteler.