Qu'est devenue la liberté de notre enfance?
Profitant d'un beau temps inattendu lors du dernier week-end que nous avons passé chez mes parents, j'ai emmené les filles faire une petite balade.
En chemin vers le parc, j'ai finalement bifurqué dans un étroit passage entre deux murs, saisie par l'envie de leur faire découvrir les lieux de mon enfance. Ce petit chemin caché, à travers les jardins, mène au pied de la rivière où j'ai tant joué enfant.
Avec les petits voisins, on enfourchait nos vélos après l'école ou le week-end, pour aller y passer des heures à construire des cabanes dans les branches, en équilibre précaire au dessus de l'eau, couvrant le bruit des flots de nos tumultueux et enthousiastes cris de batailles et de joie.
Le temps a depuis porté bien loin nos milliers de fabuleuses histoires...
La magie n'est plus là.
Ces amis si proches sont depuis longtemps perdus de vue, des lotissements proprets ont envahi les champs environnants, et la rivière tant à l'écart du monde est maintenant juste en bord de route.
"Allez maman... Viens vite, on va au parc maintenant. L'eau elle est trop froide, et puis le soleil il me pique les yeux..." Depuis le cœur de leur propre enfance, mes filles n'ont pas pu percevoir ces petits éclats de bonheur qui ont fait le sel de la mienne, ni saisir la nostalgie qui m'a envahie.
Mais moi, je me souviens - et je chéris ces bribes de souvenirs oubliés qui me sont revenus, au fil de cette eau douce.
C'était simple, c'était chouette... Et tellement à mille lieux de ce qu'elles peuvent vivre aujourd'hui!
Tous les jours, on partait à l'aventure, en vélo, dans les champs ou dans les débuts de chantiers de ce qui allait devenir un quartier résidentiel prisé. Maîtres de notre petit monde, on faisait un peu ce qu'on voulait.
On nous laissait partir seuls des heures entières, insouciants et inconscients des dangers (je frémis à l'idée de ce qui aurait pu tant de fois arriver, si nous avions chuté la tête sur les cailloux!), avec notre imagination et des bâtons comme seuls jouets.
Ce sont de très beaux souvenirs - mais je n'imagine pas aujourd'hui pouvoir laisser mes filles vivre de telles expériences. Ça me parait inconcevable!
Évidemment, le temps a sans doute enjolivé mes souvenirs...
Et puis l'époque a bien changé, on a sans doute maintenant plus conscience de certains dangers... D'autant que je vis désormais dans une grande ville et plus en bord de champs. Tout est si différent maintenant!
Pour autant, je suis sûre que mes filles garderont elles aussi de merveilleux souvenirs de leur enfance - et je fais tout pour cela.
Mais garderont-elles aussi en mémoire ce sentiment d'absolu, cette désinvolture que j'ai moi-même vécue? N'est ce pas définitivement d'un autre temps maintenant?
Je me demande parfois si nous ne sommes pas devenus trop frileux, en voulant trop bien faire pour nos enfants et toujours assurer leurs arrières.
A force de vouloir sans cesse leur offrir le meilleur, éliminer les risques, anticiper leurs difficultés - ne sommes-nous pas un peu trop sur leur dos?
La mouvance Montessori, la motricité libre, la DME, ont justement le vent en poupe pour remettre l'autonomie au cœur de l'apprentissage de l'enfant. Mais quand bien même - cela reste aujourd'hui toujours très encadré.
Physiquement, bien sûr (mais ça me semble un minimum!), mais surtout par des préceptes et théories pédagogiques, très présentes dans nos vies de parents.
Qu'elles soient lues et suivies à la lettre, ou simplement assimilées plus ou moins consciemment, au travers de notre environnement et notre utilisation des réseaux sociaux, nous sommes en quelques sortes gouvernés par des normes éducatives.
Je me trompe peut-être, mais j'ai l'impression qu'à l'époque où nous étions nous-mêmes enfants, nos parents étaient plus détachés et instinctifs.
Ce n'était pas forcément mieux - je n'oublie pas que mes souvenirs d'enfance, si merveilleux qu'ils soient, avaient quelques ratés!
Inutile de revenir sur toutes les avancées en termes de sécurité du matériel de puériculture, ou des équipements auto depuis cette époque... (sans parler de la mode qu'on nous a infligé dans les 80s, dont on mésestime le pouvoir traumatique^^!)
De façon plus globale, la place mineure alors généralement accordée à l'enfant, et la sévérité et les débordements éducatifs qui étaient alors généralement admis ne sont pas vraiment à regretter (même si j'ai eu la chance de ne jamais en souffrir de mon côté).
La nostalgie est un sentiment naturel - mais comparer ces deux époques si différentes ne rime à rien. A chaque période ses progrès... et seul le recul du temps peut nous montrer clairement si, et où, nous nous sommes trompés.
J'espère qu'on ne regrettera justement pas un jour d'en avoir un peu trop fait à notre tour, en privant nos enfants de cette liberté là.
Aujourd'hui, on réfléchit à tout, et on intellectualise beaucoup. On essaye de devancer d'éventuels traumatismes, d'éliminer déceptions et déconvenues, et on se repose beaucoup sur des idées, astuces et activités pour enrichir la vie de nos enfants et les épanouir au mieux...
L'injonction actuelle au bonheur en famille passe beaucoup par le temps de qualité passé auprès de ses enfants, alors on cherche à les accompagner tout le temps - au sens propre comme figuré.
Je ne doute pas que tout cela aille globalement dans le bon sens, évidemment. Mais la multitude d'informations dont nous disposons en tant que parents, via les guides ou via Internet, peut aussi finir par nous mettre beaucoup de pression...
Une pression que l'on reporte sans doute, inconsciemment, sur nos enfants, en leur préparant le terrain constamment, et en les couvant peut-être parfois un peu trop.
A vrai dire, je ne me fais pourtant pas tant de souci que ça, du moins, pas pour mes filles.
J'imagine que leur part de liberté se manifestera autrement, peut-être par leurs souvenirs de vacances ou de balades, par les moments passés chez leurs grands-parents, ou même par une expression artistique, je ne sais pas...
Elle trouvera sûrement un moyen différent de s'exprimer - ce ne sera juste pas forcément par l'éducation que nous leur donnons aujourd'hui au quotidien.
Et puis leur liberté prendra probablement le temps d'éclore, alors qu'elles grandiront - car elles sont bien petites encore, et je lâcherai sans doute petit à petit la bride ...
Et puis au fond, c'est peut être aussi juste que mon point de vue a changé.
Maintenant que je suis de l'autre côté du miroir, j'ai une conscience accrue des risques. Me focaliser sur ceux-ci m'empêche peut-être de voir la part de liberté et l'insouciance, que les enfants savent, eux, encore saisir pleinement...
Notre génération a fait le choix de privilégier un savoir théorique, à l'instinct, à l'expérimentation et au lâcher-prise auxquels nos parents donnaient sans doute plus de poids. Est-ce un mal pour un bien?
Il est encore trop tôt pour en mesurer l'impact... J'espère juste que nos enfants n'y perdront pas la part de liberté sur laquelle nous avons pu compter.