J'en aurai passé, des heures, sur ce tapis… Des heures tendres, des heures tendues ; des heures d'ennui, des heures émues... Des heures aux premières loges de vos jeunes années.
Tout a commencé le jour où je l'ai recherché, ce tapis - un de ces jours si doux passés à vous rêver, avant même que vous n'existiez ; une main caressant mon ventre rond, l'autre sur ma souris, cherchant ce petit plus qui rendrait votre coin plus cosy.
Puis est venu le jour où j'ai reçu ce tapis si précieux, où je l'ai déroulé sur le sol de la chambre fraîchement repeinte pour votre arrivée. Vous preniez corps un peu, déjà, avec cette douceur molletonnée qui venait réchauffer mes pieds. La chambre d'amis devenait, par ce geste, vraiment celle d'un bébé : déjà je devinais que j'allais en passer, du temps, sur ce parquet.
A votre arrivée, je l'ai inauguré de mille pas feutrés : des jours, des nuits passés à vous y promener, collées-serrées, marchant lentement et patiemment en rond, le long de la lisière, juste pour vous calmer. Vos corps contre le mien, vos souffles dans mon cou ; vos pleurs contre mon cœur, ou parfois juste le réconfort de mon sein, dans un calme serein.
Des tours et des tours, attendrie, pleine d'amour ; stressée et fatiguée, aussi, bien souvent.
A petits pas, j'ai fait des kilomètres entiers, sur ce mètre carré.
Un jour vous avez réussi à vous retourner, commencer à ramper, et puis enfin marcher, sur ce parterre duveté - je vous ai applaudies, fière et émerveillée de chaque petit progrès. Un tapis de tendresse, juste sous vos petites fesses, pour adoucir vos premières chutes autant que rassurer mon cœur tout chamallow.
J'en ai passé, des heures, sur ce tapis... à empiler des cubes pour le seul plaisir de vous voir aussitôt les envoyer valser, dans un éclat de rire toujours renouvelé!
J'en ai volé, des heures, à tenter d'étouffer mes pas sur ce tapis moelleux, sur la pointe des pieds... Juste pour profiter du spectacle de vous endormies, les muscles détendus et les traits relâchés, à la lueur si douce d'une veilleuse allumée -et venir déposer sur vos fronts un tout dernier baiser.
Le tapis, l'éternel complice de mes pas furtifs - pour surveiller la fièvre sans faire de bruit, ou quand j'ai dû jouer la petite souris.
Je l'ai maudit, aussi, tant de fois, ce tapis...
Quand j'en retirais un à un les fils et les poussières, examinant ses fibres juste pour tromper l'ennui, parce que vous teniez à tout prix que je reste à vos côté, même pour m'ignorer.
Quand j'ai dû, résignée, finir par m'y coucher, tous ces soirs où vous ne vouliez pas me laisser m'en aller - quand le temps s'étirait comme une éternité, alors que chaque grincement vous faisait sursauter, que chaque pas vers la porte vous faisait pleurer.
Quand pour lâcher vos nerfs, vous y rouliez parfois toute votrecolère, les pieds tapant par terre et les poings vengeant l'air, jusqu'à ce que se calment vos humeurs passagères.
J'ai tant de fois râlé, fini même parfois en cris et en furie, là, sur ce pauvre tapis, à ramasser des pleines brassées de vos jouets qui traînaient, traitant de tous les noms le lego oublié sur lequel j'avais marché, et donnant des coups de pieds dans un tel bazar qu'on ne pouvait plus passer.
Et comme j'y ai souffert, sur ce tapis... Les genoux en compote, le dos moitié bloqué, les fesses endolories - parce que c'est pas tout ça, mais moi je n'ai plus 3 ans - et votre souplesse d'enfant!
Mais tant pis pour la peine - car assise près de vous, il devient si magique, ce tapis élimé...
Comme les tapis volants de vos contes d'enfants, il vous amène toujours vers des lieux fascinants!
Une fois au restaurant, une autre en crèche, au zoo ; une fois au village, ou à l'infirmerie, ou encore même ces jours-ci, à l'école de magie... Je vous ai vues rêver, sur ce tapis! Y construire tant de monde imaginaires que je ne saurais pas tous m'en rappeler : vous n'êtes jamais à court d'idées pour y créer des univers entiers, et bâtir en même temps votre complicité.
Des dinettes 3 étoiles au service de gourmet, sur des tables dressées de livres empilés ; des bals incroyables en robes pailletées ; des parcours trépidants dignes d'agents secrets ; etdes salles de classe pour doudous indisciplinés... Chaque jour ou presque j'y trouve une nouveauté.
J'y ai tourné tant de pages, sur ce tapis, vous assises dans le creux de mes jambes croisées, à vous laisser bercer par mes mots surjoués, vos esprits s'envolant vers les histoires contées...
Mais c'est surtout une part de votre histoire à vous qui s'écrit, là, sur ce tapis maintenant un peu usé... Autant de merveilleux souvenirs que je ne pourrai jamais, moi, mettre sous le tapis.