L'étrange calme d'après
Ça ne vous aura sans doute pas échappé, entre partages et codes promo, on attaque 'octobre rose', le mois dédié à la prévention du cancer du sein.
Une belle initiative, à laquelle j'ai toujours été sensible, mais évidemment, bien plus aujourd'hui... Pourtant, je me suis aperçue ces derniers jours, en y réfléchissant, que j'avais un peu de mal à me positionner là dessus et à me mettre en avant pour l'occasion.
Mon cancer a disparu, mes gros traitements sont finis, je vais bien et j'ai globalement bien vécu cette période pourtant difficile... Évidemment, c'est une grande chance - mais c'est finalement un peu pesant aussi : tout est presque allé trop vite, un peu trop pour que je puisse complètement l'appréhender.
C'est un peu comme si je me sentais vaguement coupable, quelque part, d'avoir traversé cette période sans trop de difficultés. A l'heure de mettre en avant Octobre rose, je ne me sens pas tout à fait légitime en tant que 'cancéreuse' pour en parler, au delà de vous encourager, plus que jamais, à vous palper et à consulter au moindre doute.
C'est complètement idiot, d'autant plus que j'ai justement fait le choix de parler ouvertement de mon cancer, à chaque étape, pour aider la prévention... Mais maintenant que ça fait désormais partie intégrante de mon identité, j'ai bizarrement du mal à me croire en bonne place pour témoigner. Comme si je n'étais pas assez malade pour que mon vécu ait sa place.
Même si techniquement, je ne peux pas me considérer dans 'l'après" (la rémission n'étant envisagée qu'après 5 ans sans récidive), mon esprit est déjà un peu passé à l'étape d'après.
Et je voulais justement vous glisser quelques mots sur cet période étrange, quand la tempête se calme, et que la vie reprend son cours après un cancer du sein.
Aujourd'hui, si vous me demandez comment je vais, je vous répondrai : tout va bien. Et je le pense, vraiment. Je me surprend souvent à m'étonner de la vitesse à laquelle tout ça s'est passé, et à me dire que tout cela est déjà derrière moi.
Cela fait déjà quelques semaines que je navigue dans cette zone un peu trouble, où les traitements majeurs sont terminés, où il n'y a plus trace de mon cancer, mais qu'il reste quand même toujours un peu présent, en toile de fond.
Mes rendez-vous médicaux se sont espacés, et ont perdu leur caractère d'urgence ; j'ai repris le travail, réintégré l'activité physique à mon agenda, et mon corps ne porte pas trop de traces visibles extérieures de ce que j'ai vécu. Qui me rencontrerait aujourd'hui, ne devinerait pas ce que je viens de traverser.
Alors, depuis que ma vie "normale" a repris, petit à petit, je l'oublie - mais mon cancer sait quand même se rappeler régulièrement à moi.
Croire que tout est fini serait bien trop facile... Il me reste bien des stigmates, physiques autant que psychologiques.
Croire que tout est terminé, ce serait bien vite oublier que j'ai perdu un sein dans la bataille, et que la prothèse qui le remplace, si elle "fait le job", reste une gêne au quotidien, que je supporte tant bien que mal. Et qu'elle n'est de toute façon que temporaire, avant que je n'aie à subir bientôt une nouvelle intervention chirurgicale...
Et ce serait aussi oublier, ce que je fais souvent, qu'on m'a aussi enlevé 2 ganglions et que ma peau irradiée reste très fragilisée - ce qui me rend bien plus vulnérable aux infections.
Croire que tout est terminé, ce serait trop vite oublier l'hormonothérapie que je dois prendre quotidiennement, à heure fixe, pour une durée de 5 ans. Un traitement au long court, moins "visible" que les traitements de première intention, mais qui peut être tout aussi éprouvant - surtout quand, contrairement à moi, on voulait encore avoir des enfants.
Croire que tout est terminé, ce serait oublier que les effets secondaires liés à mes traitements de fond se manifestent encore régulièrement... Et surtout, oublier cette épée de Damoclès avec laquelle je devrai vivre maintenant, dans la peur du moindre signe de rejet, de récidive, et dans celle d'avoir transmis à mes dépends un gêne "fautif" à mes enfants.
Non, ce n'est pas complètement fini... Mais, alors que j'ai repris le fil de ma vie, je sais désormais vivre avec.
Si dans mon cas, les changements ne sont pas drastiques, je pense que cette période de transition, après le cancer, peut être très particulière à vivre.
J'ai eu la chance de ne pas subir de chimiothérapie, et de reprendre le travail à ma demande, quand j'y étais prête ; mais cela doit être encore bien plus violent, quand ce n'est pas le cas.
Quand on vient de traverser des mois de consultations diagnostiques, de rendez-vous de suivi avec des tas de spécialistes, d'innombrables séances de thérapie, quand tout se ralentit, voire s'arrête, y compris l'attention autour de soi, ça fait forcément bizarre - même si ça fait aussi du bien!
On est à la fois ravi de pouvoir enfin reprendre le cours "normal" de sa vie, et un peu déstabilisé ; car même si ça ne se voit pas toujours à l'extérieur, et que les autres ne le perçoivent pas toujours, tout a changé. Notre rapport à la vie, au travail, à la santé, et nos relations avec les autres ne sont plus les mêmes.
L'amplitude de ces changements varie sans doute énormément selon notre vécu, et notre personnalité...
Mais même quand, comme moi, on a bien vécu la période de son cancer, il reste une multitude de petites choses qui font qu'on ne redevient jamais exactement qui l'on était, avant.
L'impact sur notre image de nous, avant tout : tumorectomie/mastectomie, perte de cheveux et/ou port-a-cath en cas de chimio, éventuels prises de poids ou changements hormonaux en cas d'hormonothérapie... Avec le cancer du sein, en général notre corps à changé, ce qui met à mal notre confiance en nous et/ou notre sentiment de féminité.
Certaines, dont je fais partie, composent très bien avec cela ; pour d'autres, c'est très difficile de dire adieu à son corps d'avant, et d'accepter tous ces changements rarement très esthétiques.
Notre rapport à la vie, et à l'avenir, est aussi chamboulé, de façon plus abstraite. L'annonce du diagnostic met un coup de massue, et fait très peur - quelque soit la suite que l'on connaîtra. Même si l'issue est positive, on est forcément passés par la peur de la mort (disons les choses clairement) et par une prise de conscience, qui engendre une prise de recul sur notre vie, et un nouveau rapport à nos proches... ça change un peu nos perspectives!
Et puis, concrètement, ce qu'on a vécu impacte directement notre quotidien : pour certaines, une fatigue chronique, une gêne dans les mouvements, des douleurs resteront longtemps présentes après les traitements, ce qui peut être handicapant au travail, comme dans sa vie de tous les jours. Et on est désormais un peu "fichés", ce qui peut avoir un impact sur ses projets, notamment professionnels ou immobiliers.
Et puis après avoir été entouré des soins et de la bienveillance des professionnels de santé, de ses proches, de ses collègues, en tant que "malade", ça peut être déstabilisant de ne plus être au coeur de l'attention, maintenant que l'on va mieux.
J'ai la chance de pouvoir bien vivre cette période de transition, de mon côté ; mais l'après-cancer peut être une période encore compliquée...
Je me sens donc d'autant plus privilégiée, dans mon parcours face à la maladie.
Je crois que c'est cette conscience de ma chance, que ce soit sur le plan diagnostique, sur les traitements que j'ai reçus, et maintenant, sur l'après, qui m'empêche de me voir en "victime" (même si le mot me semble trop fort).
Et pourtant : en y réfléchissant, je crois que c'est justement cet aspect positif, qui fait la force de mon témoignage.
Pour montrer combien tout peut bien se passer, si l'on est dépistée à temps ; pour montrer que les traitements sont aujourd'hui nombreux, adaptés et efficaces ; et que malgré toutes les difficultés que ce parcours impose, on peut bien le vivre, et s'en sortir sans atteintes majeures - sans doute même encore plus forte de ce qu'on a vécu.
Quand on vit cette épreuve, on a besoin de se rattacher à l'espoir, pour lancer toutes ses forces dans la "bataille", et s'entraîner sans cesse vers le positif. Et c'est finalement en cela que je crois que mes mots peuvent être utiles, même si je n'ai probablement pas le profil type de la malade telle qu'on se la représente.
J'ai [eu] un cancer, mais parce que j'ai pris les choses à temps, ma vie a pu vite reprendre, avec la même intensité et la même beauté qu'avant.
...Et au fond, quel meilleur message faire passer, pour montrer l'importance du dépistage précoce, que ce soit lors d'Octobre rose, ou après?